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LA COSMOLOGIE DE PLATON


ὁτιπερ πῦρ πρὸς ἀέρα, τοῦτο ἀέρα πρὸς ὕδωρ, ϰαὶ ὅτι ἀὴρ πρὸς ὑδωρ, ὕδωρ πρὸς γῆν… »[1].

L’Univers est donc maintenant visible grâce au feu, tangible grâce à la terre, uni par le ministère des deux éléments intermédiaires, l’air et l’eau[2].

Ces quatre éléments, d’ailleurs, nous les voyons constamment se transformer les uns dans les autres. « Ce qu’en ce moment nous nommons eau se transforme par concrétion, nous le constatons, et devient terre et pierres ; lorsqu’au contraire, elle devient plus fluide et se dissocie, l’eau se transforme en vapeur et en air ; l’air brûlant devient du feu ; inversement, le feu comprimé et éteint reprend la forme d’air ; l’air resserré et condensé devient nuage et brouillard ; le nuage et le brouillard, rendus plus compacts, s’écoulent en eau, et de cette eau s’engendrent de nouveau de la terre et des pierres. »

Sans cesse, l’espèce d’un élément, se transforme en une autre espèce ; nous n’avons donc pas le droit, prenant une partie d’un élément, de dire c’est cela (τοῦτο) et point autre chose ; car le mot : cela implique, en ce que nous montrons, l’idée d’un objet persistant et stable ; pour exprimer cet état perpétuellement fuyant des éléments, nous devons user de mots qui désignent non pas la substance, mais la manière d’être ; nous ne devons pas dire c’est cela (τοῦτο), mais c’est de telle façon (τοιοῦτον), c’est tel que de l’eau, c’est tel que du feu.

Ce sentiment de l’état de transformation perpétuelle où se trouvent les éléments, sentiment si vif que pour désigner le feu, l’air, l’eau et la terre, Platon ne voudrait plus user de substantifs, mais seulement de qualificatifs, ce sentiment, disons-nous, paraît inspiré de la philosophie d’Héraclite. Mais voici que, tout aussitôt nous entendrons Timée développer des pensées qui semblent apparentées aux doctrines de Démocrite.

  1. Le sens de ce passage est si clair que l’on s’étonne du nombre de commentaires et de discussions auxquels il a donné lieu, Nicomaque, Jamblique, Chaleidius, Proclus, Macrobe dans l’Antiquité, Marcile Ficin lors de la Renaissance, ont discuté cette pensée de Platon. Chez les modernes, elle a été étudiée par :

    Auguste Bœckh, De Platonica corrois mondain fabrication conflit ex elementis geometrica ratione concinnatis ; Heidelberg, 1809. Réimprimé dans Auguste Bœckh’s Gesammelte Schriften, Bd. III, pp. 229-252, Leipzig, 1866. Cette réimpression est accompagnée (pp. 253-265) d’une addition intitulée : Excursus de geometricis inter plana et inter solida medietatibus ; cette addition est datée de 1865.

    Th.-H Martin, Études sur le Timée de Platon, t. I, pp. 337 sqq. ; Paris, 1840.

    Zeller, Philosophie der Griechen, 1859 (seconde édition), t. II, part, I, pp. 511 sqq.

  2. Platon, Timée, 4g ; éd, cît., p. 217.