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LA COSMOLOGIE DE PLATON


lieu, suivi de la disparition de cet être en ce même lieu, suppose un lieu qui demeure tandis que ce mouvement se produit. Ce lieu, ce n’est pas l’être absolu et idéal qui le peut fournir ; l’être permanent, en effet, « ne reçoit jamais en lui-même un autre être venu d’ailleurs, non plus qu’il ne pénètre jamais en aucun autre être — οὔτε εἰς ἑαυτὸ εἰσδεχόμενον ἄλλο ἄλλοθεν οὔτε αὐτὸ εἰς ἄλλο ποι ἰόν. » Ce lieu ne pourra donc se trouver qu’en un troisième genre d’être, en l’espace. Comme l’être absolu et idéal, l’espace est soustrait à la destruction ; mais il n’est pas, comme lui, impénétrable aux autres êtres ; à tous ceux qui naissent et meurent, il offre une place : « … Τρίτον δὲ αὖ γένος ὃν τὸ τῆς χώρας ἀεὶ, φθορὰν οὐ προσδεχόμενον, ἕδραν δὲ παρέχον ὅσα ἔχει γένεσιν πᾶσιν. »

Cet espace, comment le connaissons-nous ? Platon nous dit qu’il ne tombe pas sous les sens par lesquels nous percevons les êtres changeants et corruptibles ; et, bien qu’il ne nous le dise pas, il admet sans doute que l’espace n’est pas, comme les idées pures, contemplé par l’intuition intellectuelle. « Il ne peut être atteint, poursuit l’auteur du Timée, que par un certain raisonnement hybride — ἁπτὸν λογισμῷ τινὶ νόθῳ. » Il est permis de penser que Platon désigne par ces mots le raisonnement géométrique qui tient à la fois de la νόησις et, par l’imagination qui l’accompagne, de l’αἴσθησις. C’est à peine, en tous cas, si ce raisonnement nous convainc de la réalité de l’espace ; celui-ci demeure « à peine croyable, μόγις πιστόν. »

La vision que nous avons de l’espace se peut comparer aux visions que nous croyons percevoir dans les rêves. C’est une vision de ce genre que nous possédons lorsque nous songeons à l’espace infini au sein duquel l’Univers limité et sphérique est logé ; cet espace, où l’Univers trouve un lieu, est, en effet, absolument vide, car hors ce qui a son lieu en terre ou au ciel, il n’y a rien. Telles sont les pensées que Platon exprime en ces termes : « C’est cet espace que nous voyons comme en rêve lorsque nous disons : Il est nécessaire que l’être universel soit quelque part, en un certain lieu, et qu’il occupe un certain espace ; et d’autre part, ce qui n’est ni en terre ni quelque part dans le ciel, il est nécessaire que ce ne soit rien du tout — Πρὸς ὃ δὴ ϰαὶ ὀνειροπολοῦμεν βλέποντες ϰαὶ φαμεν ἀναγϰαὶον εἰναι που τὸ ὂν ἅπαν ἔν τινι τοπῳ ϰαὶ ϰατέχον χώραν τινὰ, τὸ δὲ μήτ’ ἐν γῇ μήτε που ϰατ’ οὐρανὸν οὐδὲν εἶναι ». Ainsi se trouve posé par Platon le problème du lieu de l’Univers, problème dont la préoccupation va hanter l’esprit de la plupart des philosophes dont nous aurons à parler.

Hors du Monde limité et sphérique, il y a donc, au gré de Platon,