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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


un espace, nécessairement illimité, où cet Univers est logé, et dans cet espace, rien n’existe, en sorte qu’il est vide. Au sein même du Monde, Platon, à la différence des Atomistes, n’admet l’existence d’aucun espace vide ; il rejette l’opinion, professée par les Atomistes, selon laquelle l’existence du vide serait requise pour la possibilité du mouvement. En un langage[1] qui fait songer à celui qu’emploiera Descartes, il affirme que tout mouvement produit au sein de l’Univers, qui est absolument plein, est un mouvement tourbillonnaire qui se ferme sur lui-même. C’est au sujet de l’air évacué par notre respiration qu’il formule cette doctrine : « Il n’existe aucun vide où puisse pénétrer l’un des corps qui sont en mouvement ; lors donc que nous chassons le souffle hors de notre poitrine, il est manifeste à chacun, par ce qui vient d’être dit, que ce souffle ne s’en va pas dans le vide, mais qu’il chasse de son lieu l’air voisin ; l’air chassé, à son tour, chasse toujours celui qui lui est voisin ; par cette même nécessité, tout l’air se meut en cercle ; en la place que l’air quitte, un autre air entre comme s’il était adhérent à l’air qui s’est échappé, et il remplit cette place ; tout cet effet se produit simultanément à l’image d’une roue qui tourne autour de son axe, et cela parce que rien n’est vide. — Ἐπειδὴ ϰενὸν οὐδέν ἐστιν εἰς ὃ τῶν φερομένων δύναιτ’ ἂν εἰσελθεῖν τι, τὸ δὲ πνεῦμα φέρεται παρ’ ἡμῶν ἔξω, τὸ μετὰ τοῦτο ἤδη παντὶ δῆλον ὡς οὐϰ εἰς ϰενὸν, ἀλλὰ τὸ πλησίον ἐϰ τῆς ἕδρας ὠθεῖ · τὸ δ’ ὠθούμενον ἐξελαύνει τὸ πλησίον ἀεὶ, ϰαὶ ϰατὰ ταύτην τὴν ἀνάγϰην πᾶν περιελαυνόμονον εἰς τὴν ἕδραν, ὅθεν ἐξῆλθε τὸ πνεῦμα, εἰσιὸν ἐϰεῖσε ϰαὶ ἀναπληροῦν αὐτὴν ξυνέπεται τῷ πνεύματι, ϰαὶ τοῦτο ἅμα πᾶν οἶον τροχοῦ περιαγομένου γίγνεται διὰ τὸ ϰενὸν μηδὲν εἶναι. »

À la vérité, si Platon ne reçoit pas en son Monde le vide des Atomistes, on ne peut pas dire non plus qu’il y mette ce que ces philosophes nommaient le plein, c’est-à-dire cette substance non définie, mais rigide et impénétrable, dont ils formaient les corps ; dans l’espace, dans la χώρα, Platon n’admet d’autres corps réels que des assemblages de figures géométriques.

Ce raisonnement hybride qu’est le raisonnement géométrique va, en effet, conduire Timée à figurer, dans l’espace, intermédiaire entre l’être et les apparences changeantes, les essences spécifiques du feu, de l’air, de l’eau et de la terre. La théorie des polyèdres réguliers lui découvrira ce que sont ces essences.

Timée décrit[2] d’abord les trois polyèdres réguliers dont les

  1. Platon, Timée, 79 ; éd, cit., p. 239.
  2. Platon, Timée, 54-56 ; éd. cit., pp. 221-222.