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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


n’ont jamais aucune fin, par là même [l’homogène et l’hétérogène] gardent toujours l’immobilité de ce qui est périodique.

« Ἄλλοτε μὲν Φιλότητι συνερχόμεν’ εἰς ἒν ἅπαντα,
Ἀλλοτε δ’ αὖ δίχ’ ἕϰαστα φορούμενα Νείϰεος ἔχθει,
Ἠδὲ πάλιν διαφύντος ἑνος πλέον’ ἐϰτελέθουσι,
Τῇ μὲν γίγνονταί τε ϰαί οὔ σφισιν ἔμπεδος αἰών·
ᾝ δὲ διαλλάσσοντα διαμπερὲς οὐδαμὰ λήγει,
Ταύτῃ δ’ αἰὲν ἔασιν ἀϰίνητοι ϰατὰ ϰύϰλον. »

Par ces vers d’Empédocle, nous entendons, pour la première fois, énoncer une idée que nous retrouverons bien souvent en la Philosophie grecque : Une chose changeante qui se reproduit périodiquement nous présente comme la ressemblance atténuée d’une chose qui demeure éternellement la même.

Aristote nous apprend en outre[1] qu’entre ces deux mouvements contraires qui, alternativement, défont le Monde et le refont, mouvement de coordination déterminé par l’Amour et mouvement de désagrégation produit par la Haine, Empédocle admettait une période intermédiaire d’immobilité et de repos : « … Ὅπερ ἔοιϰεν Ἐμπεδοϰλῆ ἂν εἰπεῖν, ὡς τὸ ϰρατεῖν ϰαὶ ϰινεῖν ἐν μέρει τὴν Φιλίαν ϰαὶ τὸ Νεῖϰος ὑπάρχει τοῖς πράγμασιν ἐξ ἀνάγϰης, ἠρεμεῖν δὲ τὸν μεταξὺ χρόνον. »

Aux renseignements qu’il nous a déjà donnés sur la doctrine d’Empédocle, Simplicius ajoute une dernière indication[2] :

« Empédocle dit que ce qui s’engendre de nouveau n’est pas la même chose que ce qui a été détruit, si ce n’est au point de vue de l’espèce. Ἐμπεδοϰλῆς τὸ γινόμενον οὐ ταὐτὸν τῷ φθαρτέντι φησίν, εἰ μὴ ἄρα ϰατ’ εἶδος. »

Cette indication a son importance. En effet, les innombrables partisans de cette théorie qui fait du Monde un être périodique se divisent entre deux opinions. Les uns soutiennent que les choses dont un monde est composé sont numériquement identiques aux choses qui subsistaient au sein du monde précédent ; dans le monde à venir naîtra un Empédocle qui sera, de corps et dame, identique à l’Empédocle qui a vécu dans le monde actuel ; ceux-ci admettent donc l’immortalité de l’âme et la métempsychose. Les autres, et c’est parmi eux que se range Empédocle, admettent que les choses dont un monde est fait périssent sans retour ; dans le monde suivant reparaîtront des choses de même espèce, qui seront sem-

  1. Aristote, Physique, livre VIII, ch. I (Aristotelis Opera éd. Didot, t. II, p. 344 ; éd. Bekker, vol. I, p. 252, col. a).
  2. Simplicius loc. cit. ; éd. Karsten, p. 133, col. a ; éd. Heiberg, p, 295.