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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE


durée éternelle et un Κόσμος où les choses ne naissent que pour mourir, idée que Platon, puis Aristote, mettront au fondement même de leur Cosmologie, paraît donc avoir pris naissance chez les Pythagoriciens. Elle se marque clairement dans ce que nous savons d’Alcméon de Crotone qui a passé, peut-être à tort, pour disciple immédiat de Pythagore, mais qui a, du moins, très fortement subi l’influence des doctrines italiques[1].

Selon la doctrine d’Alcméon, les êtres éternels et divins, au dire d’Aristote[2], avaient en apanage le mouvement perpétuel : « Alcméon dit que l’âme est immortelle parce qu’elle est semblable aux êtres immortels ; et cette similitude lui échoit en tant qu’elle est sans cesse en mouvement ; il dit, en effet, que tous les êtres divins, la Lune, le Soleil, les astres, le ciel tout entier se meuvent d’un mouvement continu qui dure toujours (ϰινεῖσθαι συνεχῶς ἀεί) ».

Ainsi donc, pour Alcméon, les êtres divins et immortels, ce sont les astres et ce qui leur est semblable ; l’éternité de ces êtres est caractérisée par le mouvement perpétuel ; inutile d’ajouter que le philosophe de Crotone conçoit assurément ce mouvement perpétuel comme un mouvement périodique semblable aux mouvements astronomiques.

Aristote, d’ailleurs, nous rapporte[3] une autre pensée d’Alcméon, qui vient préciser et compléter la précédente : « Alcméon dit que les hommes meurent par ce fait qu’ils ne peuvent pas rattacher leur commencement à leur fin. Τοὺς γὰρ ἀνθρώπους φησὶν Ἀλϰμαίων διὰ τοῦτο ἀπόλλυσθαι, ὅτι οὐ δύνανται τὴν ἀρχὴν τῷ τέλει προσάψαι. » Éprouver une suite de transformations dont l’état final soit identique à l’état initial, c’est la condition nécessaire et suffisante pour être immortel ; en effet, l’être qui a parcouru une première fois un tel cycle fermé, recommencera à le parcourir de nouveau et le parcourra une infinité de fois.

Or Alcméon déclare l’âme immortelle ; c’est donc qu’il regarde la vie de l’âme comme un cycle fermé dont l’état final vient rejoindre l’état initial, c’est donc qu’à son gré, une même âme subit une infinité de réincarnations toutes semblables entre elles. En cela, comme en maint autre point de sa doctrine, le philosophe de Crotone conforme sa pensée à l’enseignement pythagoricien.

  1. Édouard Zeller, La Philosophie des Grecs, trad. Boutroux, t. 1, pp. 464-465.
  2. Aristotelis De anima, lib. I, ch. II (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. III, p. 435 ; éd. Bekker, vol. I, p. 405, coll. a et b).
  3. Aristotelis Problemata, XVII, 3 (Aristotelis Opera, éd. Didot, t. IV, p. 203 ; éd. Bekker, vol. II, p. 916, coll. a).