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avait un commandement particulier au siége de La Rochelle, disait-il en chargeant à la tête de plusieurs autres seigneurs protestants comme lui :

— Vous verrez, messieurs, que nous serons assez bêtes pour prendre La Rochelle.

Et Bassompierre avait raison : la canonnade de l’île de Ré lui présageait les dragonnades des Cévennes ; la prise de La Rochelle était la préface de la révocation de l’édit de Nantes.

Mais, à côté de ces vues du ministre niveleur et simplificateur et qui appartiennent à l’histoire, le chroniqueur est bien forcé de reconnaître les petites visées de l’homme amoureux et du rival jaloux.

Richelieu, comme chacun sait, avait été amoureux de la reine ; cet amour avait-il chez lui un simple but politique, ou était-ce tout naturellement une de ces profondes passions comme en inspira Anne d’Autriche à ceux qui l’entouraient ? C’est ce que nous ne saurions dire, mais en tous cas on a vu par les développements antérieurs de cette histoire, que Buckingham l’avait emporté sur lui et que, dans deux ou trois circonstances et particulièrement dans celle des ferrets, il l’avait, grâce au dévoûment des trois mousquetaires et au courage de d’Artagnan, cruellement mystifié.

Il s’agissait donc pour Richelieu, non seulement de débarrasser la France d’un ennemi, mais de se venger d’un rival. Au reste la vengeance devait être grande et éclatante, et digne en tout d’un homme qui tient dans sa main pour épée les forces de tout un royaume.

Richelieu savait qu’en combattant l’Angleterre, il combattait Buckingham ; qu’en triomphant de l’Angleterre, il triomphait de Buckingham ; enfin qu’en humiliant l’Angleterre aux yeux de l’Europe, il humiliait Buckingham aux yeux de la reine.

De son côté Buckingham, tout en mettant en avant l’honneur de l’Angleterre, était mu par des intérêts absolument semblables à ceux du cardinal. Buckingham aussi poursuivait une vengeance particulière. Sous aucun prétexte Buckingham n’avait pu rentrer en France comme ambassadeur ; il voulait y rentrer comme conquérant.

Il en résulte que le véritable enjeu de cette partie que les deux puissants royaumes jouaient pour le bon plaisir de deux hommes amoureux, était un simple regard d’Anne d’Autriche.

Le premier avantage avait été au duc de Buckingham ; arrivé inopinément en vue de l’île de Ré avec quatre-vingt-dix vaisseaux et vingt mille hommes à peu près, il avait surpris le comte de Toiras, qui commandait pour le roi dans l’île, et, après un combat sanglant, il avait opéré son débarquement.

Relatons en passant que dans ce combat avait péri le baron de Chantal. Le baron de Chantal laissait orpheline une petite fille de dix-huit mois.

Cette petite fille fut depuis Mme de Sévigné.

Le comte de Toiras se retira dans la citadelle Saint-Martin avec la garnison et jeta une centaine d’hommes dans un petit fort qu’on appelait le fort de la Prée.

Cet évènement avait hâté les résolutions du cardinal, et en attendant que le roi et lui pussent aller prendre le commandement du siége de la Rochelle, qui était résolu, il avait fait partir Monsieur pour diriger les premières opérations, et