Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, IV.djvu/81

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franchi sur les derniers momens de son maître : les réponses furent en général assez sages, quelques unes inconsidérées. Tibère lut alors le billet, écrit à peu près en ces termes :

« Victime de la calomnie et des complots de mes ennemis, et ne pouvant faire connaître mon innocence, j’atteste les dieux, César, que je vous ai toujours été fidèle, ainsi qu’à votre mère. Je vous supplie l’un et l’autre de prendre soin de mes enfans. Cn. Pison, qui n’a point quitté Rome, est innocent de mes malheurs ; et M. Pison s’est opposé à mon retour en Syrie. Plût aux dieux que la vieillesse du père eût écouté la jeunesse du fils (62) ! mes instances en sont plus vives, pour qu’il ne soit point puni de mes fautes. Au nom de quarante-cinq ans de fidélité, du consulat dont je fus honoré avec Auguste votre père, de l’amitié que vous et lui avez eue pour moi, accordez à un fils infortuné cette grâce, la dernière qu’un père vous demande. » Il ne dit rien de Plancine.

Tibère ajouta, pour justifier le jeune Pison de la guerre civile, qu’un fils n’avait pu désobéir à son père ; il plaignit cette illustre maison et la triste fin de Pison même, fût-elle juste. Ensuite il parla pour Plancine en rougissant, et en alléguant avec indécence les prières de sa mère, qui n’en fut que plus exposée aux murmures secrets des gens de bien ; ils s’indignaient « qu’on permît à une aïeule de voir, d’entretenir, d’arracher au sénat la meurtrière de son petit-fils ; qu’on refusât au seul Germanicus ce que les lois accordaient au moindre citoyen ; que Vitellius et Veranius déplorant sa mort, l’empereur et sa mère défendissent Plancine, qui bientôt exercerait contre Agrippine et ses enfans l’art des poisons où elle avait déjà si bien réussi, et rassasierait du sang de cette famille infortunée un oncle et une aïeule si respectables. » On consuma deux jours à ce fantôme de procès ; Tibère pressait les fils de Pison de défendre leur mère ; et comme les accusateurs et les témoins la chargeaient sans qu’on leur répondît, la pitié remplaçait peu à peu la haine. Le consul Aurelius Cotta, premier opinant, car les magistrats opinaient, même quand l’empereur faisait le rapport, fut d’avis de rayer des fastes le nom de Pison ; de confisquer une partie de ses biens ; de laisser l’autre à Cneus Pison son fils, en l’obligeant à changer de prénom ; de priver M. Pison de son rang, en lui donnant cinq millions de sesterces[1], et de le bannir pour dix ans ; d’accorder enfin aux prières de Livie la grâce de Plancine.

Tibère mitigea cet avis en plusieurs points. Il s’opposa à ce qu’on rayât des fastes le nom de Pison, puisqu’on y laissait ceux

  1. Environ cinq cent mille livres.