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LUDWIG VAN BEETHOVEN

Radoux, le portraitiste de la Cour, l’a représenté de grandeur naturelle, vêtu de fourrure avec un pardessus à brandebourgs, assis dans un fauteuil, un bonnet de velours à gland d’or sur la tête, un rouleau de musique à la main, sous l’aspect d’un petit homme au front large, aux yeux vifs, au teint basané.

Au clavecin, voici un autre Ludwig. C’est l’aîné de ses petits enfants, un bambin de huit ans à peine (il est né le 16 décembre 1770) qui s’apprête à jouer une sonate de Mozart ou de Ph.-Emmanuel Bach sous les yeux bienveillants des musiciens de sa corporation, les Reicha, les Ries, les Romberg, les Simrock, l’acteur Lux, etc. Son corps chétif, ses courtes jambes semblent supporter avec peine une énorme tête qu’on dirait descendue du portrait rajeuni. Lui aussi a les cheveux noirs et le teint basané qui lui vaudront le sobriquet de l’espagnol. Ses précoces dispositions promettent déjà un nouvel anneau à la chaîne ininterrompue des Capellmeister.

À côté, le regardant avec tendresse, voici Mme van Beethoven, jeune et belle encore malgré ses traits fatigués. Issue d’honorable souche bourgeoise, fille d’un premier maître-queux, fonctionnaire de la maison du Prince-électeur, cette excellente ménagère, qui est en même temps une femme distinguée, « sait parler comme il sied aux plus humbles et aux plus grands personnages ». Elle est l’idole des trois petits garçons, Louis, Charles et Jean, et, bien que son mari ait hérité du côté maternel un goût exagéré pour le jus de ses vignes rhénanes, aucune dispute n’a troublé l’harmonie du ménage. Plus tard, quand elle mourra phtisique, le père tombera, désemparé, et dans une lettre célèbre, le