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LUDWIG VAN BEETHOVEN

sionata, du fait d’un éditeur). Nul pianiste n’en devrait entreprendre l’interprétation s’il n’a lui-même souffert… Cette œuvre nous paraît l’une des plus caractéristiques au point de vue de l’autobiographie de Beethoven. Dès le premier mouvement, ces deux thèmes qui semblent faits l’un pour l’autre, puisqu’ils procèdent du même rythme et de la même nature harmonique, et qui en arrivent, par une constante dépression, à se déformer et à se détruire, malgré les tentatives de la péroraison, n’est-ce pas, encore mieux défini que dans la Sonate dite : au clair de lune, le roman douloureux de l’année 1802 ? Après une prière calme, presque religieuse, la passion reprend, exaspérée, mais cette fois avec un ardent désir de remontée, et dans le triomphe final, proclamé par un insuffisant piano qui doit se faire cors, trompettes et timbales, ne l’entendez-vous pas crier : « C’est moi ! Je suis redevenu Beethoven enfin ! »

À Schindler, qui lui demandait en bon Philistin ce que signifiaient les deux sonates op. 31 et 57, Beethoven répondit : « Lisez la Tempête de Shakespeare » ; mais c’est en vain qu’en ces élans de passion on chercherait Caliban, voire Prospero ; le vent de tempête ne souffle ni sur l’île, ni sur la mer, il se déchaîne dans un cœur, un cœur qui souffre, qui rugit, qui aime et qui triomphe.

Enfin, combien d’appels vers un être aimant et compatissant, combien de plaintes angoissées, combien de mornes résignations ne trouve-t-on pas dans les œuvres composées de 1806 à 1815 ? L’adagio du VIIe quatuor, le VIIIe presque tout entier, le mystérieux largo du deuxième trio à la comtesse Erdödy, op. 70, la Clærchen d’Egmont, le premier mouvement du XIe quatuor, et enfin le Chant élégiaque, op. 118, écrit à la mémoire de