Page:Elzenberg - Le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, 1909.djvu/142

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à l’indulgence ; sa nostalgie religieuse est assez forte pour lui faire aimer les formes religieuses les plus opposées. On voit, par la comparaison du Chant alterné et de l’Églogue harmonienne, que, bien loin d’introduire dans le nouveau texte l’ombre d’une désapprobation, c’est le paganisme qu’il humilie presque ; s’il modifie quelque chose dans les strophes chrétiennes, c’est pour les rendre encore plus suaves[1]. Plus profond et plus magnifique, mais né C.u même sentiment, est le Nazaréen[2]. Dire que le Christ n’était « ni le pain céleste ni l’eau vive », c’est blasphémer ; le spectacle des « saturnales » du monde moderne se ruant à l’assaut des temples chrétiens

    l’on peut appeler philosophie le point de vue du fanatisme pur. Le texte primitif contient l’idée du désir infini, de cette fatalité historique qui fait que le monde ne peut pas s’arrêter dans une croyance et que, pour avancer, il doit la frapper : c’est un effet de la nature humaine, une dure nécessité dont on n’accuse personne. Au contraire, si maudire Hypatie est un acte vil, c’est donc que ce n’était pas un acte nécessaire : le christianisme n’est donc plus une nécessité de l’évolution humaine, du « vol fougueux », c’est une idée qui vient on ne sait d’où pour faire commettre des crimes. Et ainsi, non seulement les vers sur le « destin meilleur » et la fuite vers les « terres promises » sont annulés, mais l’esprit même d’où le poème est sorti est atteint dans sa dernière profondeur.

  1. Des strophes entières parmi les plus helles n’apparaissent que dans le nouveau texte, comme la quatrième et la huitième.
  2. Poèmes barbares p. 304.