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aura été établi entre les hommes, comme mesure commune des denrées, ou comme richesses de convention.

Le second effet sera de décourager par le bas prix les cultivateurs des nations rivales, & de s’assurer toujours de plus en plus ce bénéfice sur elles.

À mesure que les richesses de convention sortent d’un pays, & que le profit du genre de travail le plus essentiel y diminue, au point de ne plus procurer une subsistance commode à celui qui s’en occupe, il est nécessaire que ce pays se dépeuple, & qu’une partie de ses habitans mendie ; ce qui est encore plus funeste. Troisième effet de la vente supposée.

Enfin, par une raison contraire, il est clair que les richesses de convention s’accumulant sans cesse dans un pays, le nombre des besoins d’opinion s’accroîtra dans la même proportion. Ces nouveaux besoins multiplieront les genres d’occupation ; le peuple sera plus heureux ; les mariages plus fréquens, plus féconds ; & les hommes qui manqueront d’une subsistance facile dans les autres pays, viendront en foule habiter celui qui sera en état de la leur fournir.

Tels sont les effets indispensables de la supériorité de l’agriculture dans une nation, sur celle des autres nations ; & ses effets sont ressentis en raison de la fertilité des terres réciproques, ou de la variété de leurs productions ; car le principe n’en seroit pas moins certain, quand même un pays moins bien cultivé qu’un autre, ne seroit pas dépeuplé à raison de l’infériorité de sa culture ; si d’ailleurs ce pays moins cultivé fournit naturellement une plus grande variété de productions, il est évident qu’il aura toujours perdu son avantage.

Ce que nous venons de dire, conduit à trois conséquences très-importantes.

1o. Si l’agriculture mérite dans un corps politique le premier rang entre les occupations des hommes, celles des productions naturelles, dont le besoin est le plus pressant & le plus commun, exigent des encouragemens de préférence chacune dans leur rang : comme les grains, les fruits, les bois, le charbon de terre, le fer, les fourrages, les cuirs, les laines, le gros & le menu bétail, les huiles, le chanvre, les lins, les vins, les eaux-de-vie, les soies.

2o. On peut décider sûrement de la force réelle d’un état, par l’accroissement ou le déclin de la population de ses campagnes.

3o. L’agriculture, sans le secours du commerce, seroit très-bornée dans son effet essentiel, & dès-lors n’atteindroit jamais à sa perfection.

Quoique cette dernière déduction de nos principes soit évidente, il ne paraît point inutile de s’y arrêter, parce que cet examen sera l’occasion de plusieurs détails intéressans.

Les peuples qui n’ont envisagé la culture des terres que du côté de la subsistance, ont toujours vécu dans la crainte des disettes, & les ont souvent éprouvées. (Voyez le livre intitulé Considérations sur les finances d’Espagne.) Ceux qui l’ont envisagé comme un objet de commerce, ont joui d’une abondance assez soutenue pour se trouver toujours en état de suppléer aux besoins des étrangers.

L’Angleterre nous fournit tout-à-la-fois l’un & l’autre exemple. Elle avoit suivi, comme presque tous les autres peuples, l’esprit des loix romaines sur la police des grains ; loix gênantes & contraires à leur objet dans la division actuelle de l’Europe, en divers états dont les intérêts sont opposés. Rome, maîtresse du monde, n’avoit point de balance à calculer avec ses propres provinces ; elle les épuisoit d’ailleurs par la pesanteur des tributs, aussi-bien que par l’avarice de ses préfets ; & si elle ne leur eût rien rendu par l’extraction des choses dont elle avoit besoin, elle eût englouti les trésors de l’univers, comme elle en avoit envahi l’empire.

En 1689 l’Angleterre ouvrit les yeux sur ses propres intérêts. Jusqu’alors elle avoit peu exporté de grains, & elle avoit souvent eu recours aux étrangers, à la France même, pour sa subsistance. Elle avoit éprouvé ces inégalités fâcheuses & ces révolutions inopinées sur les prix, qui tour-à-tour découragent le laboureur ou désespèrent le peuple.

La Pologne, le Danemarck, l’Afrique & la Sicile étoient alors les greniers publics de l’Europe. La conduite de ces états, qui n’imposent aucune gêne sur le commerce des grains, & leur abondance constante, quoique quelques-uns d’entr’eux ne jouissent ni d’une grande tranquillité ni d’une bonne constitution, suffisoient sans doute pour éclairer une nation aussi réfléchie, sur la cause des maux dont elle se plaignoit ; mais la longue possession des pays que je viens de nommer, sembloit trop bien établie par le bas prix de leurs grains, pour que les cultivateurs anglois pussent soutenir leur concurrence dans l’étranger. Le commerce des grains supposoit une entière liberté de les magasiner, & pour autant de temps que l’on voudroit : liberté dont l’ignorance & le préjugé rendoient l’usage odieux dans la nation.

L’état pourvut à ce double inconvénient, par un de ces coups habiles dont la profonde combinaison appartient aux anglois seuls, & dont le succès n’est encore connu que d’eux, parce qu’ils n’ont été imités nulle part. Je parle de la gratification qu’on accorde à la sortie des grains sur les vaisseaux anglois seulement, lorsqu’ils n’excèdent pas les prix fixés par la loi, & de la défense d’introduire des grains étrangers, tant que leur prix courant se soutient au-dessous de celui que les statuts ont fixé. Cette gratification facilita aux anglois la concurrence des pays les plus fertiles,