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nature une province isolée,.qui ne tient qu’à elle-même, & qui suit en corps une même loi générale ; au lieu que dans le vrai, nul être n’agit en général, nul genre, nulle espèce n’agit en corps : chaque individu agit individuellement, par une suite de ce qu’il est, comme étant un tel être & non un autre, déterminé en tout sens, qui existe en ce moment en tel lieu, avec tels caractères, tels rapports qui lui sont propres, & qui a en conséquence des influences particulières, dont l’effet est détruit, si vous lui substituez un autre individu. Cet être tel qu’il existe est aussi différent dans sa place, de tout individu de son espèce, relativement aux effets qu’il produira, que s’il étoit d’une espèce différente ; c’est de l’oubli de cette verité qu’est sans doute venue l’erreur si commune aujourd’hui chez les philosophes à la mode, qui, pour combattre le système consolant d’une providence particulière, enseignent que Dieu n’agit que par des loix générales ; supposant qu’il ne connoît la nature que par les idées universelles, qu’il ne fait attention qu’aux genres & aux espèces & jamais aux individus, ne faisant pas réflexion que ces classifications, ces idées universelles ne sont dues qu’aux bornes de notre esprit, & qu’elles ne peuvent avoir lieu dans l’intelligence infinie à qui tout est présent ; qui découvrant toutes les différences qui distinguent un individu d’un autre, ne peut jamais les confondre ; qui par conséquent n’a jamais besoin d’abstractions, & d’idées universelles pour étendre ses connoissances, pour prévenir la confusion dans ses idées, & pour soulager sa mémoire. Chaque individu est pour lui un être à part, un agent déterminé, dont les rapports, l’influence, les modifications, sont fixées par ce qu’il est précisément.

3°. Une troisième erreur due à l’abus des abstractions métaphysiques, consiste à donner à nos idées universelles abstraites une existence hors de nous, une réalité distincte des individus, qui nous ont fourni les idées simples dont nous composons l’idée générale. On semble soupçonner hors des individus je ne sais quelle essence qui va se placer dans chaque être, & à laquelle ensuite vont se joindre les modifications qui font qu’un tel individu est tel & non un autre. De là tous ces termes inintelligibles des scholastiques, nature universelle, relations, formalités, qualités occultes, formes substantielles, espèces intentionnelles. De là tant de questions vaines & absurdes sur le néant, sur les êtres possibles, sur les créatures non existantes encore. De là la fameuse controverse entre les nominaux & les réalistes. Peut-être même les modernes ne sont-ils pas exempts de cette erreur ; au moins ne paroit-il pas qu’ils emploient toujours, comme ils le devroient, les mots d’être, par exemple, de substance, d’espèce, de genre, d’essence, &c. pour être seulement les noms de certaines collections d’idées simples, mais ils semblent vouloir désigner par-là je ne sais quelles réalités existan-


tes hors d’eux. Voyez Locke, Essai sur l’entendement humain. Condillac, Essai sur l’origine des connoissances humaines, sect. 5. Clerici, opéra Philosophica. Pars prima Logica. Wats, Philosophical. Worcks, Essai III. Wats, Logick. Bonnet, Essai de Psychologie.

ABSTRAITS en Logique. Les termes abstraits sont ceux qui ne marquent aucun objet qui existe hors de notre imagination. Ainsi beauté, laideur, sont des termes abstraits. Il y a des objets qui nous plaisent, & que nous trouvons beaux ; il y en a d’autres au contraire qui nous affectent d’une manière désagréable, & que nous appelions laids. Mais il n’y a hors de nous aucun être qui soit la laideur ou la beauté. Voyez Abstraction.

Abstrait (terme). Logique. On entend par-là, tout terme qui est le signe d’une idée abstraite. Il y aura donc autant de diverses sortes de termes abstraits qu’il y aura de différentes idées abstraites ; puisque chacune d’elles doit avoir un nom qui la fixe dans notre mémoire, & qui lui donne dans notre esprit une réalité qui lui manque hors de nous. Nulle Part la nature ne nous offre l’objet isolé & subsistant d’une idée abstraite. Voyez Abstraction, Abstraite. Tous les termes de la langue sont ou individuels ou abstraits, les individuels désignent chacun un individu distinct ; ce sont ceux que l’on appelle noms propres, tels que Cicéron, Virgile, Bucéphale, Londres, Rome, Seine, Tibre. Les autres sont des termes abstraits, parce qu’ils ne désignent pas des individus, mais des idées communes à plusieurs. Tous les substantifs de cette espèce qui désignent des idées universelles, des espèces ou des genres d’êtres, se nomment chez les grammairiens, noms appellatifs, tels que poisson, cheval, homme, ville, rivière, &c. mais en philosophie on nomme abstraits, généralement tous les termes qui désignent quelque idée abstraite, de quelque nature qu’elle soit, de substance, de mode, de relation, soit qu’elle se rapporte à des êtres existans substantiellement, soit qu’elle n’ait d’existence que dans notre esprit, comme sont les mots corps, esprit, étendue, couleur, solidité, mouvement, vie, mort, pensée, volonté, sentiment, honneur, vertu, tempérance, religion, &c. Les pronoms, les adjectifs, les nombres, les verbes, les adverbes, les conjonctions, les prépositions, les particules, sont des termes abstraits, puisqu’ils ne désignent point par eux-mêmes d’individus, mais des idées communes à plusieurs, formées dans notre esprit par abstraction.

Entre ces termes, les scholastiques en ont distingué deux sortes, qu’ils ont opposées l’une à l’autre, dont l’une forme une classe des termes qu’ils nomment abstraits, & l’autre celle des termes qu’ils nomment concrets.

Les abstraits, selon eux, sont les termes qui expriment les modes ou les qualitésd’un être, sans aucun rapport à l’objet en qui se trouve ce mode


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