Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
244 ASC ASI

voix, ou plutôt cette détermination à l’une ou à l’autre voix, étant une action, c’est Dieu qui la produit, selon eux ; d’où il s’ensuit qu’il n’y a rien qui nous appartienne ni en bien ni en mal dans les actions. Au reste j’observerai que le concours de Dieu, sa providence, sa prescience, la prédestination, la liberté, occasionnent des disputes & des hérésies par-tout où il en est question, & que les chrétiens feroient bien, dit M. d’HerbeIot dans sa bibliothèque orientale, dans ces questions difficiles, de chercher paisiblement à s’instruire, s’il est possible, & de se supporter charitablement dans les occasions où ils sont de sentimens différens : en effet, que savons-nous là-dessus ? quis consiliarius ejus fuit ?

ASI

ASIATIQUES. (Philosophie des Asiatiques en général.) Tous les habitans de l’Asie sont ou mahométans, ou payens, ou chrétiens. La secte de Mahomet est sans contredit la plus nombreuse : une partie des peuples qui composent cette partie du monde, a conservé le culte des idoles ; & le peu de chrétiens qu’on y trouve sont schismatiques, & ne sont que le reste des anciennes sectes, & sur-tout de celle de Nestorius.

Ce qui paroîtra d’abord surprenant, c’est que ces derniers sont les plus ignorans de tous les peuples de l’Asie, & peut-être les plus dominés par la superstition. Pour les mahométans, on sait qu’ils sont partagés en deux sectes. La première est celle d’Aboubècre, & la seconde est celle d’Ali. Elle se haïssent mutuellement, quoique la différence qu’il y a entr’elles, consiste plutôt dans des cérémonies & dans des dogmes accessoires, que dans le fond de la doctrine. Parmi les mahométans, on en trouve qui ont conservé quelques dogmes des anciennes sectes philosophiques, & sur-tout de l’ancienne philosophie orientale.

Le célèbre Bernier qui a vécu long-temps parmi ces peuples, & qui étoit lui-même très-versé dans la philosophie, ne nous permet pas d’en douter. Il dit que les soufis persans, qu’il appelle cabalistes, « prétendent que Dieu, ou cet être souverain, qu’ils appellent char, immobile, immuable, a non-seulement produit, ou tiré les ames de sa propre substance ; mais généralement encore tout ce qu’il y a de matériel & de corporel dans l’univers, & que cette production ne s’est pas faite simplement à la façon des causes efficientes, mais à la façon d’une araignée, qui produit une toile qu’elle tire de fon nombril, & qu’elle répand quand elle veut. La création n’est donc autre chose, suivant ces docteurs, qu’une extraction & extension que Dieu fait de sa propre substance, de ces rets qu’il tire comme de ses entrailles, de même que la destruction n’est autre chose qu’une simple reprise qu’il fait de cette divine substance, de ces divins rets dans lui-même, en sorte que le dernier jour du monde qu’ils appellent maperlé ou pralea, dans lequel ils croient que tout doit être détruit, ne sera autre chose qu’une reprise générale de tous ces rets, que Dieu avoit ainsi tirés de lui-même. Il n’y a donc rien, disent-ils, de réel & d’effectif dans tout ce que nous croyons voir, entendre, flairer, goûter & toucher : l’univers n’est qu’une espèce de songe & une pure illusion, en tant que toute cette multiplicité & diversité de choses qui nous frappent, ne sont qu’une seule, unique & même chose, qui est Dieu même ; comme tous les nombres divers que nous connoissons, vingt, dix, cent, & ainsi des autres, ne sont enfin qu’une même unité répétée plusieurs fois »

Mais si vous leur demandez quelque raison de ce sentiment, ou qu’ils vous expliquent comment se fait cette sortie, & cette reprise de substance, cette extension, cette diversité apparente, ou comment il se peut faire que Dieu n’étant pas corporel, mais simple, comme ils l’avouent, & incorruptible, il soit néanmoins divisé en tant de portions de corps & d’ames, ils ne vous paieront jamais que de belles comparaisons ; que Dieu est comme un océan immense, dans lequel se mouveroient plusieurs fioles pleines d’eau ; que les fioles, quelque part qu’elles pussent aller, se trouveroient toujours dans le même océan, dans la même eau, & que venant à se rompre, l’eau qu’elles contenoient, se trouveroit en même-temps unie à son tout, à cet océan dont elles étoient des portions ou bien ils vous diront ; qu’il en est de Dieu comme de la lumière, qui est la même par-tout l’univers, & qui ne laisse pas de paroître de cent façons différentes, ou selon la diversité des objets où elle tombe, ou selon les diverses couleurs & figures des verres par où elle passe. Ils ne vous paieront, dis-je, que de ces sortes de comparaisons, qui n’ont aucun rapport avec Dieu & qui ne sont bonnes que pour jetter de la poudre aux yeux d’un peuple ignorant ; & il ne faut pas espérer qu’ils repliquent solidement, si on leur dit que ces fioles se trouveroient véritablement dans un eau semblable, mais non pas dans la même, & ainsi de tant d’autres objections qu’on leur fait. Ils reviennent toujours aux mêmes comparaisons, aux belles paroles, ou comme les soufis aux belles poésies de leur Goult-hen-raz.

Voilà la doctrine des Pendets, gentits des Indes ; & c’est cette doctrine qui fait encore à présent la cabale des soufis & de la plupart des gens de lettres persans, & qui se trouve expliquée en vers persiens, si relevés & si emphatiques dans leur Goult-hen-raz, ou Parterre des mysteres. C’é-