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qui engagea les premiers Chrétiens à prendre contre les Grecs & les Romains, la défense de la philosophie barbare. C’étoit un détour adroit dont ils se servoient pour les accoutumer peu à peu à respecter la réligion chrétienne, sous cette enveloppe grossière qui leur en déroboit toute la beauté, & à lui soumettre leur science & leur orgueil. Tatien de Syrie, & disciple de S. Justin, leur a prouvé qu’il n’avoient rien inventé d’eux-mêmes, & qu’ils étoient redevables à ces mêmes hommes qu’ils traitoient de barbares, de toutes les connoissances dont ils étoient si fort enorgueillis. « Quelle est, leur reprochoit-il malignement, la science parmi vous qui ne tire son origine de quelqu’étranger ? Vous n’ignorez pas que l’art d’expliquer les songes, vient de l’Italie ; que les Cariens se sont les premiers avisés de prédire l’avenir par la diverse situation des astres ; que les Phrygiens & les Isauriens se sont servis pour cela du vol des oiseaux, & les Cypriotes des entrailles encore fumantes des animaux égorgés. Vous n’ignorez pas que les Chaldéens ont inventé l’astronomie ; les Perses la magie ; les Égyptiens la géométrie & les Phéniciens l’art des lettres. Cessez donc, ô Grecs ! de donner pour vos découvertes particulières ce que vous n’avez fait que suivre & qu’imiter ». Quoi qu’il en soit de ces reproches, il est certain qu’ils sont les premiers inventeurs de cette philosophie systématique, qui bravant toute autorité, ne veut se laisser conduire qu’à la lueur de l’évidence dans la recherche de la vérité. La philosophie des autres peuples & même des Égyptiens qui étoient incomparablement plus éclairés que le reste des peuples, n’étoit qu’un amas de maximes qui se transmettoient par tradition, & qui prenoient sur les esprits le même ascendant que les oracles de leurs dieux. Ce n’est qu’en Grèce qu’on osait raisonner : & c’est aussi là le seul pays où l’esprit subtil & rafiné enfantoit des systêmes. La philosophie des autres peuples n’étoit, à proprement parler, qu’une théologie mystérieuse. Ainsi l’on peut dire que les Grecs ont été les premiers philosophes dans le sens rigoureux que l’usage attache à ces termes.

BEL

BELBUCH & ZÉOMBUCH, (Hist. philosophique des superstitions anciennes.) divinités des Vandales. C’étoit leur bon & leur mauvais génie. Belbuch étoit le dieu blanc, & Zéombuch étoit le dieu noir. On leur rendoit à l’un & à l’autre les honneurs divins. Le manichéisme est un systême dont on trouve des traces dans les siècles les plus réculés, & chez les nations les plus sauvages. [ Si ce n’est pas le premier dégré par lequel les hommes se sont élevés à l’athéisme, c’est au moins le pas le plus ferme & le plus direct qu’ils aient fait dans la route qui y conduit : car celui qui commence par établir pour premier article de sa philosophie deux principes, l’un du bien, l’autre du mal, est bien près de les rejeter tous deux. Il ne faut en effet, ni une grande pénétration, ni un long enchaînement de raisonnemens pour voir que si l’on suppose une fois deux dieux ou deux principes co-éternels & par conséquent indépendans l’un de l’autre, il n’y a point de raison pour s’arrêter à ce nombre, plutôt qu’à tout autre cent fois, mille fois &c., plus grand, & pour ne pas attacher, par exemple, un dieu à chaque phénomène particulier, à chaque changement qui arrive dans le tout[1].

Cette seule objection contre le dogme des deux principes, suffit pour faire naître de nouveaux doutes dans l’esprit du manichéen qui réfléchit & qui aime sincèrement la vérité. Alors, forcé d’abandonner le poste dans lequel il s’étoit d’abord retranché, il cherche une autre issue, & tâche d’arriver à un terme où toutes les difficultés sur l’origine du mal physique & du mal moral disparoissent & soient reduites à leur juste valeur, c’est-à-dire à rien ; & il trouve bientôt cette formule générale qui lui donne la solution complette du problême, ou comme parlent les géomètres, l’équation finale ; c’est que dans un systême, un ordre de choses où tout est lié, tout est nécessaire : donc le tout n’est ni bien ni mal ; il est comme il doit être : il n’y a personne à accuser, ni à glorifier, & rien à craindre ni à espérer ].

Le manichéisme a la même origine que la métempsycose, les désordres réels ou apparens qui regnent dans l’ordre moral & dans l’ordre physique que les uns ont attribué à un mauvais génie, & que ceux qui n’admettoient qu’un seul génie, ont regardé avec très-peu de vraisemblance, & dans des idées plus théologiques que philosophiques, comme la preuve d’un état à venir, où, selon eux, les choses morales seroient dans une position renversée de celles qu’elles ont. Mais ces deux opinions sont également sujettes à des difficultés insolubles.

Admettre deux dieux, c’est proprement n’en admettre aucun. Voyez Manichéisme. Dire que l’ordre des choses subsistant est mauvais en lui-même, c’est donner des soupçons sur l’ordre des choses à venir ; car celui qui a pu permettre le désordre une fois, pourroit bien le permettre deux. [ En effet, si Dieu a pu consentir un instant à être injuste & cruel envers des innocens,

  1. Je m’exprime ainsi, parce que la distinction communément reçue d’un monde physique & d’un monde moral est chimérique & contraire à la saine Philosophie : il n’y a pas deux mondes ; il n’y en a qu’un & c’est le TOUT.