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par-là qu’ils paroissent au tact plans & unis. Mais alors il est indubitable, que ce n’est point la vue qui nous aide à porter le jugement dont il s’agit.


CLVIII.


De tout cela nous pouvons conclurre, que les figures sont aussi peu les objets immédiats de la vue que les solides. Nous ne voyons à proprement parler, ni des solides, ni des plans diversement colorés, mais uniquement diverses couleurs. Quelques-unes de ces couleurs suggèrent à l’ame des solides, & d’autres des figures planes suivant que l’expérience nous a appris qu’elles sont liées avec l’un ou avec l’autre de ces objets : si bien que nous voyons des plans, de la même manière que nous voyons des solides ; l’une & l’autre de ces choses étant également suggérée par les objets immédiats de la vue, lesquels ont obtenu eux-mêmes par-là les noms de plans & de solides. Mais, quoiqu’ils soient désignés par les mêmes noms que les choses qu’ils désignent, ils sont pourtant, comme nous l’avons démontré, d’une nature tout-à-fait différente.


CLIX.


Ce que nous venons de dire est, si je ne me trompe, suffisant pour décider la question proposée touchant les talens géométriques d’une intelligence telle que celle qui vient d’être supposée. À la vérité il est difficile de juger avec précision des idées qu’auroit la susdite intelligence ; parce qu’il nous est presque impossible de séparer dans nos pensées, les objets propres de la vue de ceux de l’attouchement qui sont liés avec eux. Et cela ne nous paroîtra pas étonnant, dès que nous considèrerons combien il est difficile à un homme qui entend prononcer quelques mots de sa langue maternelle, de s’empêcher de comprendre le sens qui y est attaché. Quoiqu’un pareil homme s’applique à séparer le sens du son, il ne sauroit en venir à bout, & ne pourra jamais se mettre dans la situation d’un étranger, qui, n’ayant jamais appris la langue du pays où il est, n’est frappé que des sons sans avoir la moindre idée de leur signification. Je crois donc qu’il est clair, que ce n’est, ni l’étendue envisagée d’une manière abstraite, ni l’étendue visible qui forment l’objet de la géométrie : vérité, dont la connoissance auroit peut-être épargné bien des peines inutiles en mathématiques.

BOU

BOULANGER (systême de) hist.  de la Philos. mod. Si l’on ne donne le nom de Philosophie qu’à une suite d’opinions particulières plus ou moins exactes, plus ou moins réfléchies sur l’origine de nos sensations, de nos idées, de nos connoissances sur la nature & les opérations de l’entendement humain, sur la distinction chimérique & si gratuitement imaginée des deux substances, sur l’existence & les attributs de Dieu sur la formation de l’univers, & sur les loix nécessaires par lesquelles s’exécutent tous les phénomènes du ciel, de la terre & de la mer &c. &c. : si, dis-je, on n’appelle Philosophie que les résultats plus ou moins évidens, plus ou moins conformes à l’expérience & à l’observation auxquels les hommes sont arrivés sur ces différens objets ; peut-être, en ce sens très-circonscrit, Boulanger ne doit-il pas être regardé comme un Philosophe, & par conséquent ses opinions ne doivent pas faire partie de l’histoire de la Philosophie moderne, parce qu’il est certain qu’il n’a traité spécialement, &, comme on dit, ex professo, presque aucune des matières indiquées dans l’énumération précédente : mais si comme la saine raison le prescrit, on entend par Philosophe un homme qui pense beaucoup & qui fait beaucoup penser ; qui, dans les routes nouvelles qu’il s’est ouvertes, n’a pas fait peut-être un seul pas qui ne soit d’un homme d’esprit & quelquefois même d’un homme de génie ; qui envisage les objets particuliers dont il s’occupe par des côtés que personne n’avoit observés avant lui ; qui, à des connoissances très-diverses, souvent plus profondes qu’on n’a droit de l’attendre de leur variété, joint le talent de généraliser ses idées ; qui applique par-tout la Philosophie à l’érudition ; qui, à l’aide de ces deux instrumens dont le concours est toujours si utile, si nécessaire & si rare, parvient à lier entre eux des faits jusqu’alors isolés, obscurs & presque abandonnés par l’impossibilité de les expliquer partiellement & de les rapporter à leur cause originelle & primitive ; qui découvre entre ces faits connus & trop négligés, des rapports très-fins, très-fugitifs ; en un mot qui étend de plusieurs côtés la sphère de notre vue & éclaire tout-à-coup un horizon qu’elle distinguoit à peine ; il est évident alors que Boulanger est un vrai Philosophe & qu’il mérite, comme tel, d’occuper une place honorable dans l’histoire philosophique des progrès de l’esprit humain.

Le systême de ce savant est lié dans toutes ses parties ; il est un : il en a posé les différentes bases dans plusieurs articles épars dans la premiere édition de l’Encyclopédie, & qui seront sans doute conservés dans l’Encyclopédie méthodique par les auteurs chargés de traiter les différentes matières auxquelles ces bases peuvent avoir quelques rapports. (Voyez le dictionnaire d’histoire naturelle par M. desmarets).

Au reste, soit que Boulanger ait craint d’abandonner trop légèrement son systême à un rédacteur peu attentif, ou peu instruit, qui le mutileroit dans queIques-unes de ses parties principales, ou qui le présenteroit sous un faux jour ;