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partisans de la liberté, qui n’ont point fait difficulté de soutenir, comme je fais, la nécessité morale, ou du moins l’idée exprimée par ces mots.

En troisième lieu, je me flatte d’avoir détruit d’avance la plus forte de toutes les objections qu’on pouvoit me faire, en démontrant avec la dernière évidence que mes idées sur la liberté, loin d’être incompatibles[1] avec la moralité des actions & avec l’esprit des lois dans l’institution des peines & des récompenses, sont au contraire les plus fermes & même les seuls fondemens du systême de la société civile, dont les notions que j’entreprends de réfuter, entraînent nécessairement la destruction. Je me suis cru obligé d’entrer dans ces considérations en traitant un sujet qui a tant de rapport avec les premiers principes de la morale : j’ai toujours été persuadé que la vérité ne pouvoit se trouver dans des choses qui alloient au renversement de l’ordre, & que tout raisonnement qui heurtoit de front l’évidence morale, étoit essentiellement défectueux ; car je ne vois point de différence entre l’évidence morale & l’évidence spéculative ou métaphysique considérées toutes deux relativement aux impressions qu’elles doivent faire sur nous : je ne sais même, à tout prendre, si l’évidence n’est pas d’une toute autre importance dans la morale, que dans quelque autre science que ce soit.

IV. J’ai donné à cet ouvrage le titre de dissertation philosophique, parce que je me suis borné aux preuves tirées de la raison & de l’expérience, & que j’ai mis à l’écart les argumens purement théologiques. J’ai ainsi trouvé le moyen d’être concis & j’ai tout lieu d’espérer qu’on ne me saura pas moins de gré d’avoir suivi cette méthode, que si j’avois fait usage des lieux communs de la théologie scolastique. Il n’y a que des gens de mauvaise humeur ou des enthousiastes qui puissent condamner ma façon d’agir : mais je me consolerai aisément de leur censure, si je puis avoir pour moi le suffrage des personnes sensées, qui font consister la véritable théologie dans le résultat de l’expérience & du raisonnement.

V. Je pourrois répondre d’avance à ceux qui me demanderont de quelle utilité peut être un pareil traité, 1o. que la connoissance de la vérité en général est toujours avantageuse ; 2o. qu’on ne saurait rendre un plus grand service à la société, que d’établir, comme je fais, des vérités relatives à la moralité des actions & à l’institution des peines & des récompenses parmi les hommes ; mais je me contenterai de remarquer ici que cet écrit ne peut manquer d’être utile à tous ceux qui cherchent sincèrement la vérité, & qui sont persuadés que l’examen est le moyen le plus propre pour parvenir à l’éclaircissement des questions que j’y agite. Quant à ceux qui ne réfléchissent sur rien, & qui sont ennemis de toute spéculation, ou à ceux qui sont accoutumés à décider sur tout sans examen, ou à ceux qui ne lisent un livre que pour se confirmer dans les opinions qu’ils ont déjà embrassées, je conviens de bonne foi que mon livre leur est tout-à-fait inutile ; mais ils me permettront de leur dire aussi qu’ils ne sauraient empêcher les autres d’avoir un goût différent du leur.

C’est un préjugé presque universel dans le monde, & même dans le monde savant, de croire qu’il y a certaines matières de spéculation si abstraites & si obscures par elles-mêmes, qu’il est impossible de les traiter avec clarté & avec précision. C’est la raison pour laquelle les hommes pardonnent si aisément aux théologiens & aux philosophes, l’obscurité & l’inintelligibilité des dissertations qu’ils font tous les jours sur les points les plus importans ; mais il n’y a point de question sur laquelle les auteurs ayent écrit plus obscurément, & sur laquelle on ait cru plus impossible d’écrire clairement, ou sur laquelle on s’attende à moins de précision & de netteté, que celle de la liberté & de la nécessité. J’ose dire néanmoins, que ce préjugé est une erreur dans laquelle les savans au moins n’auroient pas dû tomber.

En effet, quelque abstrait, quelque profond que soit le sujet de nos méditations, quand il s’agiroit même de l’idée de Dieu ou de son Unité en trois personnes, rien n’empêche que nous n’en ayons des idées aussi claires & aussi distinctes que si nous réfléchissions sur les choses les plus communes ; car toutes les fois que les idées nous manquent sur une matière, il n’est pas possible que nous en fassions l’objet de notre pensée. Il est certain que nous ne saurions avoir l’idée d’une chose sans être au même instant en état de communiquer cette idée aux autres par le moyen des mots[2] : effectivement, les mots étant les signes arbitraires de nos pensées, il est impossible que nous

  1. Ceux qui voudront voir cette objection proposée dans toute sa force & dans toute son étendue, n’auront qu’à consulter le livre intitulé : Recherches philosophiques sur la nécessité de s’assurer par soi-même de la vérité, &c. par un membre de la société royale de Londres, qui parut in-8°, à Rotterdam & à la Haye en 1741. I, I. art. 42. pag. 61.
  2. Les idées simples sont dans ce cas ; ces sortes d’idées ne peuvent nous être connues que par l’application de leurs objets à notre faculté pensante : or dès qu’une fois nous en avons eu la perception, & que nous sommes convenus de certains termes pour les représenter, nous sommes en état de les communiquer aux autres par le moyen des mots.