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Un auteur célèbre avoue qu’il n’y a point de question plus absurde que de demander si l’homme est libre de choisir celui qui lui plaît du mouvement ou du repos : une pareille demande, ajoute-t-il, suffit pour nous faire voir que la liberté & la volonté n’ont rien de commun ensemble ? En effet demander si l’homme est libre de vouloir demeurer en repos ou se mouvoir, parler ou se taire, c’est demander si un homme est libre de vouloir ce qu’il veut ou d’agréer ce qui lui plaît, question qui ne mérite aucune réponse.[1]

Supposer qu’un être sensible, quelque nom que vous lui donniez, est capable de choisir le mal & de rejetter le bien, c’est nier qu’il soit réellement sensible, c’est lui enlever une faculté que votre première hypothèse admettoit en lui : car tout homme qui jouit de ses sens, cherche naturellement son plaisir & son bonheur, évite la peine & le mésaise,[2] & cela même dans l’instant où il se laisse aller à des actions qui, par l’événement, peuvent avoir des conséquences funestes pour lui.

  1. « C’est demander (dit-il encore) si une faculté a une autre faculté, une autre puissance » V.  l’essai sur l’entendement humain, par M. Locke, liv. 2, ch. 21, sect. 25.
  2. « Il est prouvé par l’expérience, (dit M. Locke au même endroit) que ce n’est pas le plus grand bien même quand il est reconnu pour tel, qui détermine la volonté, mais que c’est quelque mésaise dont on est travaillé : de quoi voici les raisons. Nous ne pouvons être heureux tant que nous nous sentons mal à notre aise. 1. Toutes nos actions tendent à la félicité, le seul mésaise nous empêche d’en jouir ; bien plus il gâte les plaisirs que nous goûtons actuellement ; car une petite douleur peut corrompre les plus grands plaisirs. L’exemption de la douleur étant donc le premier pas vers le plaisir, il est naturel que ce soit par là que l’esprit soit déterminé premièrement. 2. Comme il n’y a rien de présent à l’ame que le mésaise, il s’ensuit que seul il a la puissance de nous déterminer. Mais l’esprit (dira-t-on) ne peut-il pas être touché d’un bien absent par l’examen qu’il en a fait ? Oui, l’esprit peut avoir l’idée d’un bien absent : mais si cette idée n’excite pas en nous un desir, & par ce desir un mesaise qui soit plus puissant pour nous déterminer que tous les autres, cette idée n’est dans l’esprit que comme plusieurs autres idées, que comme une spéculation entièrement inactive. On peut dire aussi que c’est le bonheur ou le bien qui excite le desir, mais ce ne sont pas toutes sortes de biens avoués pour tels, qui font naître le desir ; l’homme ne desire que cette portion de bien qui, selon la disposition présente de son esprit, lui paroît nécessaire, essentielle pour être heureux : hors cette portion, tous les autres biens, quelque grands qu’ils soient, n’excitent nullement ses desirs…… »

    Ces réflexions pourroient seules servir de réponse aux longs raisonnemens de M. Chub, à ce sujet, qui le réduisent à dire : « que la perception & le jugement de l’entendement, peuvent être considérés comme le même acte, ou comme deux actes différens, c’est-à-dire, que quoique chaque acte de jugement public puisse être dit un acte de perception, chaque acte de perception néanmoins n’est pas un axe de jugement : si bien, continue-t-il, que la perception, quand on la distingue du jugement, consiste à voir les choses telles qu’elles sont ou qu’elles paroissent être, avec leurs circonstances & leurs conséquences, au lieu que juger, consiste à prononcer sur leur convenance ou leur non-convenance avec les circonstances auxquelles elles ont rapport…… Quoique nous soyons passifs, ajoute-t-il quelques lignes plus bas à l’égard de ces perceptions, & que nous ne puissions voir les choses autrement qu’elles nous paroissent, & d’un autre côté, quoiqu’il ne puisse y avoir d’action sans une perception précédente, la perception & l’action ne sont cependant pas nécessairement liées… Il est parfaitement clair par l’expérience, qu’un homme préfère par cupidité le moindre bien de lui-même au plus grand bien d’un autre ou au bien du public, quand il trouve ces choses en opposition, & qu’un autre préfère généreusement le plus grand bien d’un autre ou le bien du public au moindre bien qui ne regarde que lui, si ces choses sont incompatibles : ce qui seroit impossible si la perception & l’action étoient nécessairement liées ensemble : car, si cela étoit, tous les hommes seroient également généreux ou également intéressés. » (M. Chub me permettra de lui faire observer ici en deux mots, qu’il faudroit pour cela nécessairement supposer, que tous les hommes eussent précisément la même organisation, la même appréhension, les mêmes habitudes, les mêmes appétits, les mêmes passions, ce qui n’est point & qui ne peut être) « suivant que leur entendement les informeroit des conséquences de leurs actions par rapport au mal d’eux mêmes ou des autres : la même cause produiroit le même effet, & la même perception la même action dans chaque sujet : mais l’expérience démontre le contraire ». J’arrête ici Chub, & je lui soutiens que l’expérience prouve contre lui, que la même cause produit le même effet dans les mêmes circonstances, & sur un même sujet, & que la même perception produit la même action sur le même sujet disposé de la même manière & placé dans les mêmes circonstances. Ce qu’il ajoute n’est pas plus concluant en faveur de son systême. « J’avoue bien, dit-il, que l’action suit ou accompagne quelquefois les perceptions que nous avons en songe : les hommes parlent quelquefois, se promènent ou font d’autres actions en songe : mais cela est rare, au lieu que cela seroit toujours, si l’action étoit nécessairement liée avec la perception, il ajoute, que, quand même la faculté qui apperçoit seroit trompée, les objets de la perception n’étant pas réels, cela ne feroit néanmoins rien dans le cas dont il s’agit, à l’égard de l’influence physique d’une telle perception, puisque la perception seroit réelle, quoique les objets de la perception ne le fussent pas… Enfin perception & action sont les effets de deux causes qui n’ont pas plus de connexion ensemble que les qualités d’actif & de passif : il ne passe, par exemple, dans une rue, & qu’un objet digne de pitié se présente à ma vue, ma perception est nécessaire, l’idée de cet objet étant excitée en mon ame indépendamment de ma volonté & si je sens que j’ai le pouvoir de soulager la misère de ce malheureux &