Page:Encyclopédie méthodique - Physique, T1.djvu/494

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poiſſons ſe ſoutiennent dans l’eau, on pourroit mettre le corps humain en équilibre avec l’air, en employant une grande veſſie vide ou remplie d’un air très-rare, & en la faiſant d’une telle ampleur, qu’elle put ſuſpendre un homme dans le fluide aérien. Nous démontrerons facilement, ajoute Borelli, qu’ils ſe trompent. At, quam ſit vana eorum ſpes, facile &c., percipimus. Une telle veſſie, dit-il plus bas, ne peut être, ni fabriquée, ni conſervée, ni vuidée par aucun moyen pneumatique.

Quand Chriſtophe Colomb, dit M. Gudin dans ſa lettre à l’académie de Lyon, voulut chercher un nouveau continent, on lui dit qu’on n’en pouvoit pas trouver ; quand il eut découvert l’Amérique, on lui ſoutint que les carthaginois l’avoient connue ; & abuſant d’un paſſage du periple d’Hannon, on trompa les lecteurs peu inſtruits : c’eſt ce qui eſt arrivé à MM. de Montgolfier. Il cherchoit, lui diſoit-on, l’impoſſible, avant qu’il eut réaliſé ſonprojet ; & enſuite on a falſifié des paſſages oubliés pour faire croire que l’invention ne leur appartient pas.

Loin d’avoir ſuivi les idées de Lana ou des ſavans que combat Borelli, M. de Montgolfier eſt le ſeul qui ait ſenti qu’il ne ſuffiſoit pas d’enfermer un air ſubtil ou du vuide dans une enveloppe légère, qu’il falloit encore donner à cette enveloppe une très-grande capacité ; en un mot, qu’il falloit opposer la capacité à la peſanteur, non-ſeulement à zéro, mais même tellement au-deſſous de zéro, qu’on put enlever des maſſes très-peſantes. C’eſt cette idée qui a été le fruit de la méditation, & qui forme la découverte de cet homme de génie.

Le père Joſeph Galien, dominicain, ancien profeſſeur de philoſophie & de théologie dans l’univerſité d’Avignon, publia en 1755, à Avignon, chez le libraire Fez, une brochure petit in-12, intitulé : l’art de naviger dans les airs, amuſement phyſique & géométrique, précédé d’un mémoire ſur la nature & la formation de la grêle. Ce livre dont il y a eu une ſeconde édition chez le même libraire, en 1757, & qui n’avoit été regardé juſqu’à préſent que comme un délire d’imagination, n’eſt pas ſans intérêt depuis la découverte de MM. de Montgolfier. Les lecteurs en verront ici, avec quelque plaiſir, pluſieurs paſſages. « Nous voici donc arrivés, dit le père Galien, au moment de la conſtruction de notre vaiſſeau pour naviger dans les airs & tranſporter, ſi nous le voulons, une nombreuse armée avec tous ſes attirails de guerre & ſes provisions de bouche, juſqu’au milieu de l’Afrique, ou dans d’autres pays non moins inconnus. Pour cela, il faut lui donner une vaſte capacité ; qu’importe, il n’en coutera pas davantage, dès que nous ne le fabriqueront qu’en idée.

« Plus il ſera grand, plus ſa peſanteur en ſera abſolument plus grande, mais auſſi elle en ſera moindre reſpectivement à ſon énorme grandeur, comme peuvent le comprendre ceux qui ont quelque teinture de géométrie, & qui ſavent que plus un corps eſt grand, moins il a à proportion de ſuperficie, quoiqu’il en ait abſolument davantage. Nous conſtruirons ce vaiſſeau de bonne & forte toile doublée, bien cirée ou goudronnée, couverte de peau, & fortifiée de diſtance en diſtance de bonnes cordes, ou même de câbles dans les endroits qui en auront beſoin, ſoit en dedans, ſoit en dehors, en telle ſorte qu’à évaluer la peſanteur de tout le corps de ce vaiſſeau, indépendamment de ſa charge, ce ſoit environ deux quintaux par toiſe quarrée. Quant à la forme qu’il faudra donner à ce vaiſſeau, on aura aſſez le loiſir d’y penſer, avant que de mettre la main à l’œuvre ; contentons-nous pour le préſent d’examiner ſi un vaiſſeau de figure cubique, ayant par exemple, 1 000 toiſes de diamètre, dont le ſeul corps, indépendamment de ſa charge, peſeroit 200 livres ou 2 quintaux par toiſe quarrée, pourroit ſe ſoutenir dans l’air à la région immédiatement au-deſſus, ne ſoit à celle de l’eau que comme 1 eſt à 2 000. Le vaiſſeau ſeroit plus long & plus large que la ville d’Avignon, & ſa hauteur reſſembleroit à celle d’une montagne bien conſidérable. Un ſeul de ſes côtés contiendroit un million de toiſes quarrées ; car 1 000 eſt la racine quarrée d’un million. Il auroit ſix côtés égaux, puiſque nous lui donnons une figure cubique. Nous ſuppoſons auſſi qu’il fût couvert ; car, s’il ne l’étoit pas, il ne faudroit avoir égard qu’à cinq de ſes côtés, pour meſurer combien peſeroit le corps de tout le vaiſſeau, indépendamment de ſa cargaiſon, en lui donnant deux quintaux de peſanteur par toiſe quarrée : ayant donc ſix côtés égaux, & chaque côté étant d’un 1 000 000 de toiſes quarrées, dont chacune peſant deux quintaux, il s’enſuit que le ſeul corps de ce vaiſſeau peſeroit 12 000 000 de quintaux, peſanteur énorme, au-delà de dix fois plus grande que n’étoit l’arche de Noé avec tous les animaux, & toutes les proviſions qu’elle renfermoit ».

Le père Gallien interrompt alors ces détails pour calculer la peſanteur de cette arche célèbre, & cette épiſode l’éloigne pour quelque temps de ſon vaiſſeau, dit M. Faujas ; mais enfin il y revient, & continue ainſi ſa narration. « Nous voilà donc embarqués dans l’air avec un vaiſſeau d’une horrible peſanteur. Comment pourra-t-il s’y ſoutenir & tranſporter avec cela une nombreuſe armée, tout ſon attirail de guerre & ſes proviſions de bouche, juſqu’au pays le plus éloigné ? c’eſt ce que nous allons examiner. La peſanteur de l’air de la région ſur laquelle nous établiſſons notre navigation, étant ſuppoſée à celle de l’eau, comme 1 à 1 000, & la toiſe cube d’eau peſant 15 120

livres, il