Page:Féron - La besace d'amour, 1925.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA BESACE D’AMOUR

— Oh ! pensez-vous ?… s’écria Héloïse avec effroi.

— Je le pense, mademoiselle, parce que Cadet doit avoir intérêt à ce que votre père demeure sous son toit, et qu’il y demeure ignoré.

— Quel intérêt, pourrait avoir Cadet de séquestrer monsieur de Maubertin ? demanda Marguerite.

— Je n’en ai aucune idée, mademoiselle. Ensuite, quand je dis séquestré, c’est une hypothèse simplement. Mais l’hypothèse nous met dans l’incertitude, et c’est pourquoi il importerait de communiquer avec le comte pour savoir exactement, dans quelle position il se trouve.

— C’est très juste, monsieur, approuva Héloïse.

— Et au cas où mon hypothèse serait un fait réel il faudrait sans retard prendre des mesures pour délivrer monsieur de Maubertin. Mademoiselle, ajouta le jeune homme, pensez-vous qu’il serait possible, pour vous tout au moins, de vous introduire ce soir même en la demeure de Cadet ?

— Je peux essayer, si vous voulez m’accompagner ; je n’oserais me rendre seule, à cette heure de la soirée, chez le munitionnaire. Mais vous êtes si faible encore…

Jean Vaucourt sourit.

— Je me remets promptement, dit-il. Cette blessure n’est rien… un peu de sang que j’ai perdu seulement ! Demain, je serai tout aussi fort que j’étais hier. Si vous êtes prête dans dix minutes, je le serai également.

— C’est entendu, consentit Marguerite, je vais m’habiller.

Elle quitta immédiatement le salon laissant le capitaine avec Héloïse.

Jean Vaucourt se rapprocha d’Héloïse et lui dit à voix basse :

— Mademoiselle, j’ai la conviction que votre père est en ce moment entre les mains d’ennemis mortels, aussi suis-je décidé à tout faire pour le sauver. Et vous-même, ici, mademoiselle…

— Oh ! interrompit la jeune fille avec surprise, pensez-vous que Marguerite soit complice de ces coquins ?

— Ce n’est pas exactement ce que je pense. Je suis seulement sous l’impression que mademoiselle Marguerite est un instrument inconscient ou une victime. Mais j’en aurai bientôt l’assurance. Mais dites-moi par quel évènement vous avez été emmenée ici ?

— Après l’incendie de notre maison, et après que mon père eut réussi à m’arracher des flammes, je perdis la conscience de qui était arrivé. Tout ce que je sais, c’est que je fus trouvée, sans connaissance, sur le bord de la route par Marguerite elle-même qui m’a fait conduire ici.

— Et depuis vous avez été traitée comme une amie ?

— Comme une sœur, monsieur… Marguerite a été bien bonne pour moi.

Jean Vaucourt se mit à réfléchir. L’image de Marguerite ne quittait pas son esprit, il demeurait sans cesse sous l’empire de cette beauté qu’il avait pourtant redoutée. Mais il se rappelait les deux scènes terribles qui s’étaient déroulées sous ses yeux, il se rappelait le dévouement avec lequel la fille du baron l’avait soigné, lui Jean Vaucourt, et il se demandait si cette jeune fille n’était pas un ange de charité vivant au milieu d’une bande de démons. De fait, elle ne pouvait être qu’un ange, belle comme elle était !! Mais… n’existe-il pas des beautés diaboliques… comédiennes subtiles qui ne vivent que pour l’art de tromper ? Jean Vaucourt frissonna, il ne pouvait laisser tomber dans cette catégorie de femmes la belle et exquise Marguerite de Loisel sans en ressentir une peine terrible !

Et pourtant, là devant lui, Jean Vaucourt ne découvrait-il pas une beauté non moins parfaite, non moins angélique, non moins séduisante, dans cette jeune fille si blonde, si délicieuse ! Oh ! celle-là, il l’eût juré la main au fou, était un ange… un ange véritable ! Car celle-là, il le savait, n’avait pas coudoyé le vice, la lèpre, la débauche ! Car elle n’avait pas encore vécu au sein de cette noblesse corrompue des cours et au milieu de cette bourgeoisie orgueilleuse et vaniteuse qui, pour singer la première, commençait à se livrer aux scandales les plus honteux ! Jean Vaucourt savait que cette fleur blonde, douce et timide, était pure encore de tout contact malpropre ! Cette jeune fille appartenait à la vraie noblesse de cette noblesse qui s’efforçait de représenter la France comme la nation la plus cultivée et la plus saine ! Il savait que cette enfant conservait toute l’innocence du berceau ! À Marguerite de Loisel qu’il aimait déjà, il eût lié son sort avec quelque inquiétude ; mais à cette enfant blonde…

Jean Vaucourt sentit une rougeur brûler son front.

Quoi ! mais elle était de bien trop haute noblesse… tandis que lui, Jean Vaucourt…

Le jeune homme, ayant un moment perdu l’image de Marguerite, venait d’avoir une pensée d’amour pour la fille du comte de Maubertin. Mais cela avait été une pensée si soudaine qu’il en demeurait surpris, étonné. Mais se ressaisissant, il arracha bientôt cette pensée d’amour de son cœur. Il se laissa de suite reprendre par l’image de Marguerite. Oh ! celle-là, c’était différent, elle n’était pas de bien haute noblesse ! L’était-elle seulement ? de la noblesse dont l’avait affichée son père ! Et, en supposant qu’elle fût la fille d’un baron véritable, Jean Vaucourt saurait bien combler le vide entre elle et lui en allant se conquérir sur les champs de bataille des titres qui le placeraient au niveau de Marguerite !

Oui, Jean Vaucourt, en était arrivé là… Sans trop se l’avouer, il aimait, il aimait éperdument Marguerite de Loisel… il l’aimait depuis ce jour où il l’avait vue pour la première fois dans la salle basse du Château Saint-Louis.

Le jeune capitaine songeait ainsi lorsque Marguerite reparut, enveloppée d’un long manteau noir et sa tête enfouie sous une cape de soie rose. Elle avait un air si mignon, ainsi accoutrée, que Jean Vaucourt la regarda avec admiration. Puis il s’excusa pour aller revêtir son habit et prendre son tricorne qui étaient demeurés dans le boudoir.

L’instant d’après lui et Marguerite s’apprêtaient à partir.

— Nous ne serons pas longtemps, dit la fille du baron à Héloïse, au moment de sortir.

Héloïse sourit dans le fauteuil où elle demeurait.