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de la vie, et qui, leurs besoins corporels simplement et modestement satisfaits, n’ont de plaisir qu’aux satisfaction de l’esprit à l’évocation de la pure idéologie ! Si, pour moi, la personnalité morale et intellectuelle de l’homme passe par dessus tout, je repousse toute forme d’organisation de vie matérielle, aussi avantageuse soit-elle, qui est conditionnée par l’humiliation.

En fait, la meilleure façon de répondre à toutes les objections que soulève la contribution des assurés à la constitution des ressources de l’assurance est encore de poser cette autre question : « La réalisation de cette réforme est-elle désirable, même en régime capitaliste ?

Si oui, convenons simplement que les ressources nécessaires ne peuvent être tirées que du produit du travail.

Nous n’avons jamais été naïfs, je présume, au point de supposer qu’il était possible de diminuer les bénéfices patronaux. Si l’autorité ouvrière ne s’accroît qu’en raison de l’autorité patronale, par contre la vie ouvrière s’améliore en raison non pas de l’appauvrissement patronal, mais de l’augmentation de la somme des produits livrés à la consommation générale. Et nous savons bien, quand nous luttons syndicalement pour conquérir des avantages nouveaux en faveur de la classe ouvrière, que ceux-ci ne sont pas conditionnés par une infériorisation des conditions de vie du patronat, mais qu’ils détermineront un effort nouveau de destruction de la routine dans l’organisation de la production.

Donc, prétendre que les ressources de l’assurance doivent être recherchées dans un prélèvement sur les bénéfices exagérés du patronat est un grossier non-sens.

Le même raisonnement peut être tenu, sous une forme différente, en ce qui concerne l’alimentation des institutions d’assurance par les produits d’un meilleur aménagement de l’impôt sur le revenu. Il est remarquable que ceux qui formulent cette proposition sont ceux-là mêmes qui reprochaient à la C. G. T., il y a trois ans, de défendre le principe de l’impôt direct. Nous avions pourtant une raison de préférer l’impôt direct à l’impôt indirect. Et, cette raison, nos adversaires ne l’ont pas. C’était, non pas que le premier pèserait plus lourd sur le capitaliste et moins lourd sur l’ouvrier, mais que, le contribuable devant le payer lui-même, personnellement, il en sentirait beaucoup plus le poids que celui de l’impôt indirect qu’il paie sans s’en apercevoir… autrement que par l’augmentation du coût de la vie qui résulte de son propre accroissement ; qu’ainsi sa vigilance serait mieux tenue en éveil, son désir de contrôle en serait augmenté. En temps normal, c’est là que réside la vertu essentielle de l’impôt direct, et non dans une diminution des charges de l’un et une aggravation des charges de l’autre.

Donc, prétendre qu’un meilleur aménagement de l’impôt sur le revenu, pour l’objet qui nous préoccupe, éviterait que la classe ouvrière supporte les frais de l’assurance est une absurdité.

Supprimer les dépenses inutiles de l’État ? Par exemple, les budgets de la guerre et de la marine ? Alors, si nous en croyons la « vérité révolutionnaire », il faut supprimer le régime capitaliste. Et nous sortons des cadres que nous nous sommes tracés, puisque nous avons admis l’hypothèse de la réalisation des assurances sociales, même au sein de l’organisation sociale actuelle.

Faut-il donc se résigner, demandera-t-on, à subir cette alternative : ou bien retarder l’application de cette réforme, se condamner à vivre dans l’incertitude du lendemain jusqu’après la Révolution sociale qui

supprimera le patronat et le salariat ? Ou bien subir une aggravation des conditions des travailleurs ?

D’abord accepter le premier terme de cette alternative serait se condamner à combattre toute réforme sociale : il n’en est pas qui ne soit coûteuse, soit directement, soit par incidence.

Quant au deuxième, examinons-le plus attentivement. Est-il bien sûr qu’il se présente ? Jusqu’à maintenant, le moyen le plus équitable que l’on ait trouvé de constituer les ressources de l’assurance a été de les demander à la fois au patronat, à l’État et aux assurés. Si les données du problème, telles qu’elles sont présentées dans les projets ou dans les lois, étaient confirmées par la réalité, les charges familiales de l’ouvrier seraient sensiblement diminuées, puisqu’actuellement, quand il est invalide, il reste sans ressources, tandis que dans ce cas il aurait droit à des secours importants. Mais le patronat ne prélèvera pas sa part de contribution sur les bénéfices ; les frais généraux des entreprises étant augmentés, les prix de vente des produits le seront dans la même proportion. De même, les dépenses de l’État ne peuvent s’accroître que dans la mesure de l’accroissement de ces recettes ; le contribuable paiera.

Alors l’ouvrier devrait subir, soit comme salarié, soit comme consommateur, 10 % de diminution de ses conditions actuelles d’existence. L’exagération même de ce chiffre suffirait à nous indiquer que cette conclusion est fausse.

Il en sera, de cette réforme comme de toutes les autres ; il y aura rétablissement d’un rapport entre le salaire et les charges correspondant aux besoins.

La journée de huit heures, là où elle fut appliqué, même avant qu’une loi oblige les employeurs à réajuster immédiatement les salaires, n’a jamais aggravé la gêne des ménages ouvriers.

Une erreur que nous devrions dénoncer sans cesse est celle qui fait croire que les conditions d’existence ne sont fonction que des conditions de rémunération.

Une vérité qu’il faudrait répandre avec persévérance, c’est que les conditions de rémunération sont fonction des besoins des individus.

La grande valeur de la journée de huit heures, et de la diminution de longueur de la journée de travail en général, réside non pas dans la diminution de la fatigue physique du bénéficiaire qui en résulte, mais surtout dans l’augmentation des loisirs et des besoins, dans l’amélioration des conditions générales de vie et le développement du sentiment de dignité qui en est l’heureuse conséquence.

Mais si, ni le patronat, ni l’État, ni la classe ouvrière ne sont appelés à supporter les charges financières de l’assurance, qui les supportera ? Je le répète : il en sera de cela comme de toute autre réforme : c’est dans les produits du travail, avant toute répartition entre patrons, État et ouvriers que seront trouvées les ressources nécessaires. Et dans de nouveaux aménagements de la production, aboutissant à une nouvelle augmentation de celle-ci, que seront puisés les moyens de faire face aux besoins nouveaux des individus.

C’est parce qu’elle était convaincue de cela que la C. G. T. exprima un jour l’opinion que les ressources devraient être tirées, non pas de versements particuliers effectués par les uns et les autres, mais d’un prélèvement sur la production.



L’individu qui reçoit un secours n’a aucun droit, il devient l’obligé d’autrui. Sur le fonctionnement des services qui lui viennent en aide, l’assisté n’a aucune autre faculté de contrôle que celle qui lui est reconnue en qualité de citoyen.

Par contre de l’effort personnel découle une notion