Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/338

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
CLA
337

des contradictions et souvent des erreurs. La clarté, c’est l’ordre dans le cerveau. C’est « elle qui est la loi fondamentale du discours » dit d’Alembert avec raison. Avec de la clarté on exprime nettement et facilement ses idées ; elle est donc indispensable à celui qui veut défendre ou soutenir une cause, car la meilleure des causes est perdue si elle est soutenue de façon équivoque et ambiguë. Il faut également de la clarté dans le style, lorsqu’on se permet d’écrire et d’exprimer ses idées et ses opinions par la plume. Rien n’est plus insipide, indigeste, qu’une prose lourde et équivoque, permettant toutes les spéculations. La clarté doit être la qualité première du littérateur s’il veut œuvrer utilement.

Mais ce qui est indispensable au-dessus de tout, c’est la clarté dans les conceptions. Que de discussions évitées, que de temps gagné, et que de travail social on pourrait fournir, si chacun savait clairement ce qu’il veut ! Il semble que le manque de clarté dans nos conceptions est ce dont nous souffrons le plus. Combien de socialistes sont perdus dans leur collectivisme dont ils ignorent même l’A.B.C. Combien de communistes sont incapables de déterminer ce qu’ils entendent par communisme et, comme il ne faut pas être plus tendre pour soi que pour les autres, combien d’anarchistes manquent de clarté et confondent une chose avec une autre ! Il est donc nécessaire que le militant acquiert, s’il veut sincèrement poursuivre l’œuvre qu’il a ébauchée et atteindre le but qu’il s’est fixé, cette clarté sans laquelle tout travail demeure stérile. La clarté dans les idées ? C’est le plus sûr moyen de communiquer avec autrui, de lui exprimer sa foi et sa croyance, et de lui faire partager ses opinions. Plus que tout autre, l’anarchiste doit être clair car son idéal est un idéal de lumière.


CLASSES (Lutte des). Dans ce problème d’ordre sociologique, nous nous trouvons en face de deux thèses fondamentales, opposées. La première est la thèse bourgeoise. Elle reconnaît l’existence de différentes classes au sein de la société moderne, elle en reconnaît aussi les antagonismes. Elle ne peut pas nier ces faits. C’est leur explication qui est caractéristique. Pour les théoriciens bourgeois, l’existence et l’antagonisme des classes, — de même que l’inégalité des hommes par rapport aux capacités, intelligence, etc., qui, disent-ils, en est la véritable cause — sont des phénomènes normaux et, partant, immuables. Ce n’est pas tout. D’après eux, l’existence, l’antagonisme et la lutte aiguë des classes sont loin d’avoir l’importance qui leur est attribuée par les doctrines socialistes, syndicalistes ou anarchistes. A côté des intérêts de classe, il en existe, disent-ils, bien d’autres, beaucoup plus importants, se plaçant bien au-dessus des premiers, pouvant et devant les aplanir : tels les intérêts nationaux, ceux de la société prise en son entier, ceux des individus pris séparément, etc. De là, leurs considérations d’ordre pratique, leurs conceptions politiques, leur justification du système capitaliste. Les intérêts et les avantages des classes possédantes sont, d’après eux, naturels et légitimes. La nature même des sociétés humaines exige des organisateurs de la vie nationale, sociale, économique. La classe bourgeoise est précisément cette grande organisatrice. Il faut donc qu’elle subsiste et qu’elle ait en sa possession les moyens nécessaires pour pouvoir exercer ses fonctions qui sont de première importance. Il faut qu’elle commande, qu’elle dirige, qu’elle gouverne. La classe capitaliste est loin d’être celle des parasites. Au contraire, elle travaille beaucoup : elle organise la vie des masses, elle assure leur existence, l’ordre et le progrès de la société entière dont elle est un élément indispensable. Elle manie les capitaux, elle

fait des dépenses, voir même des sacrifices… Elle court des risques… Il est donc dans l’ordre des choses qu’elle veuille être récompensée pour son action. Il faut que cette action compliquée, difficile, chargée de responsabilités, soit dûment rémunérée. Si les autres classes lui en veulent, tant pis pour elles : c’est de la non compréhension, de l’égoïsme, de l’envie, de la démagogie… Les intérêts de différentes classes de la société peuvent être parfaitement réconciliés. Ceci ne dépend que de leur bonne volonté. C’est l’État qui est appelé au rôle de conciliateur, en se plaçant au-dessus des intérêts des classes. C’est l’État qui doit atténuer et dissiper les antagonismes surgissant entre elles. Plus l’État y réussit, plus son existence et sa forme sont justifiées. Ce fut la démocratie qui, au cours du dernier siècle, prétendait être le mieux appropriée à remplir cette tâche. C’est le fascisme qui, de nos jours, écartant la démocratie disqualifiée, se targue de la même prétention. Telle est la thèse bourgeoise.

Elle est vigoureusement combattue par la conception de la lutte des classes par excellence : la conception marxiste. Sa formule, établie par Marx lui-même, porte que toutes les luttes ayant eu lieu au sein des sociétés humaines au cours de l’histoire, étaient, au fond, des luttes de classes. Plus encore. Le marxisme considère la lutte des classes comme l’unique élément réel, déterminant, de toutes les manifestations de la vie humaine. D’après lui, l’intérêt de classe se trouve invariablement à la base de toutes ces manifestations. Non seulement la vie sociale, économique, politique, juridique des sociétés humaines est déterminée par cet élément primordial, mais aussi tous les phénomènes de la vie spirituelle et intellectuelle : les luttes religieuses, les conflits nationaux, les sciences, les arts, la littérature, etc., etc., ne sont, pour les marxistes, que des expressions et applications différentes des instincts, des intérêts, des aspirations ou des mouvements de telles ou telles autres classes de la société. Il n’existe pas d’intérêts « nationaux », ni de la « société entière », ni des individus pris séparément » : il n’existe, au fond, que des intérêts de différentes classes, en lutte entre elles. Le reste n’est que parure, un trompe-l’œil pouvant égarer les profanes. Les origines des classes sont à chercher dans les lointains progrès de la technique et de la productivité du travail, lesquels, ayant porté un coup mortel à la primitive communauté des clans, amenèrent à un surplus de produits, à l’inégalité et, partant, à la division en classes, les unes se partageant le surplus des produits, ou plus-value, les autres en étant privées.

L’aspect des classes, et aussi celui de leurs luttes, varient au cours de l’histoire ; mais le fond de ces luttes reste toujours le même : les classes accaparant la plus-value, cherchent à la conserver à tout jamais et à tout prix, à subjuguer et à dominer celles qui en sont privées, tandis que ces dernières s’efforcent à secouer le joug, à se libérer, à supprimer la plus-value et, finalement, les classes elles-mêmes. La domination d’une classe donnée de la société est toujours plus ou moins passagère. Elle correspond à une époque historique déterminée, à un certain état de développement des « forces productives ». L’antagonisme et la lutte des classes découlent des « rapports de production » donnés.

Donc, les classes de la société ne sont pas immuables. Ainsi, à notre ère, la classe féodale a dû céder sa place à celle de la bourgeoisie. L’évolution ultérieure amena à la naissance d’une nouvelle classe, celle des prolétaires, dont les intérêts sont opposés à ceux de la bourgeoisie, et qui est en lutte contre cette dernière. Conformément à la doctrine marxiste, la classe prolétarienne est appelée à renverser la bourgeoisie, à s’émanciper