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le collectivisme, l’expérience de ses essais d’application.

La « Gazette du Commerce », un journal officiel du gouvernement russe, faisait remarquer, dans son numéro du 20 mars 1923, qu’avant la guerre les prix de détail ne dépassaient les prix de fabrique que de 26, 6 % en moyenne, alors qu’à l’heure actuelle, avant d’être livrées au public les marchandises passent par la centrale coopérative, l’union du gouvernement, l’union du district et l’union cantonale. Le résultat est le suivant : augmentation sur les prix d’origine de 52, 3 %.

Les journaux communistes russes nous offrent d’autres exemples encore sur les résultats de la monopolisation. Le « Troud » du 21 mars 1926 écrivait : « Le défaut capital des coopératives gouvernementales, c’est la cherté des marchandises et leur mauvaise qualité. Le savon, pour ne citer qu’un exemple, est vendu sur le marché 17 kopecks, tandis que les magasins coopératifs le vendent 22 kopecks. Au marché, on peut acheter tout ce dont on a besoin, et pour des prix modiques. Les coopératives n’ont qu’un choix très restreint de marchandises, de mauvaise qualité, et elles les vendent à des prix inabordables. Le beurre est salé, le saucisson congelé et les souliers tombent en morceau à la moindre épreuve. »

Une dernière citation empruntée également à un journal communiste russe, et nous serons définitivement fixés sur les réalisations de l’État industriel et de l’État commerçant : « D’octobre 1925 à février 1926, la rentrée des impôts ordinaires s’est élevée à un milliard 393 millions de roubles. Sur cette somme 562 millions proviennent des chemins de fer et des postes et télégraphes. Si l’on songe que parmi les recettes ne provenant pas de l’impôt, on compte celles que donnent les biens domaniaux (les forêts), il est clair que l’Industrie d’État ne donne à peu près aucun revenu. » (Ekonomitcheskaia-Jizn, 26 mars 1926.)

C’est l’aveu de l’impuissance collectiviste et étatiste et il n’est pas nécessaire d’y ajouter une ligne.

Il serait facile de mettre cette impuissance sur le compte des individus incapables. Le problème est beaucoup plus complexe. L’échec de la monopolisation ne se rattache pas à une question d’hommes ou de compétences, mais bien à la doctrine qui sert de base à tout édifice collectiviste. Les Anarchistes ont raison ; un gouvernement, quel qu’ils soit, ne peut pas assumer la lourde charge de la vie économique d’une puissance, et l’esprit et la pratique du centralisme et de la centralisation produit des effets contraires à ceux que l’on attendait.

D’autre part, le collectivisme affirme que, le capitalisme ayant disparu d’une société socialiste, cette dernière réalisera l’égalité économique de tous les hommes. En société capitaliste, ce qui caractérise le bourgeois, ce n’est pas seulement qu’il détient toute la fortune et la richesse sociale, mais surtout le fait qu’il vit en parasite du travail d’autrui. Nous avons démontré plus haut que l’existence d’un gouvernement exige l’organisation d’un nombre d’institutions s’y rattachant et que tous les individus évoluant dans les cadres gouvernementaux sont autant de parasites qui consomment sans fournir de travail utile.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets il est logique de conclure que le parasitisme sera un des vices de la société collectiviste et que sur ce terrain il n’y aura rien de changé.

Examinons maintenant la situation que le collectivisme réserve aux travailleurs.

« À chacun selon ses œuvres » telle est la formule collectiviste à laquelle les Anarchistes opposent la sui-

vante : « A chacun selon ses forces et à chacun selon ses besoins ».

La formule collectiviste dans sa brièveté renferme tous les éléments de reconstruction de la société capitaliste, et ainsi que le déclare Kropotkine dans sa Conquête du Pain : « Si la Révolution sociale avait le malheur de proclamer ce principe, ce serait enrayer le développement de l’humanité, ce serait abandonner, sans le résoudre, l’immense problème social que les siècles passés nous ont mis sur les bras. » Et Kropotkine conclut : « C’est par ce principe que le salariat a débuté, pour aboutir aux inégalités criantes, à toutes les abominations de la société actuelle, parce que du jour où l’on commença à évaluer, en monnaie, les services rendus — du jour où il fut dit que chacun n’aurait que ce qu’il réussirait à se faire payer pour ses œuvres — toute l’histoire de la société capitaliste (l’État aidant) était écrite d’avance ; elle est renfermée en germe dans ce principe : « Devons-nous donc revenir au point de départ et refaire à nouveau la même évolution ? » Nos théoriciens le veulent ; mais malheureusement c’est impossible : la Révolution, nous l’avons dit, sera communiste ; sinon, noyée dans le sang, elle devra être recommencée. » (P. Kropotkine, La « Conquête du Pain », page 226.)

Ce qui précède serait suffisant pour conclure que le collectivisme fait fausse route, et les collectivistes eux-mêmes sont obligés de reconnaître que le salariat présente de sérieux inconvénients. Car, quelle que soit la forme dont on veuille se servir pour rétribuer le travailleur, que son heure ou sa journée de travail soit représentée par un bon divisible ou par des pièces métalliques ; du fait que l’on prête à ce bon ou à ce métal une valeur d’achat, du moment où cette valeur peut être accumulée et servir au moyen d’échange, c’est la réapparition du capital et avec lui de l’exploitation et de la misère. Mais nos raisons à l’opposition au salariat collectiviste sont multiples. Non seulement les collectivistes admettent la rétribution des travailleurs, mais il classe ces derniers en catégories distinctes, ce qui complique encore sensiblement leur programme. Ils affirment la nécessité d’une échelle de salaires et créent de ce fait une aristocratie ouvrière. En vertu de quelle logique, de quelle loi naturelle ou scientifique, un médecin gagnerait-il plus qu’un mécanicien et un pianiste qu’un cordonnier ? Cela est un mystère auquel les collectivistes ne veulent pas nous initier. En vertu, probablement, de ce vieux préjugé qui prête à l’intellectuel une valeur supérieure à celle du manuel.

En 1871, lors de la Commune, les membres du Conseil touchaient une somme de quinze francs par jour, tandis que les fédérés, qui sur les barricades payaient de leur sang et souvent de leur vie la cause qu’ils défendaient, ne touchaient que trente sous. Les collectivistes veulent ratifier cette vieille inégalité, et nous ne croyons pas qu’il soit utile d’insister davantage pour démontrer que tout l’esprit révolutionnaire condamne une telle conception et une telle pratique d’organisation. Les hommes qui la soutiennent se font sincèrement ou non, consciemment ou inconsciemment, les fossoyeurs de l’égalité et de la fraternité.

Un argument qui a une certaine importance attire cependant notre attention. Les collectivistes consentent à nous accorder que le salaire est un mal ; mais c’est un mal nécessaire, assurent-ils. Sans lui, personne ne voudrait travailler. Il est un stimulant, une récompense, qui obligera chacun à apporter son effort au travail commun et à collaborer au bien-être de la collectivité. Examinons ce sérieux argument, et voyons jusqu’à quel point il mérite d’être retenu. Tout d’abord, soulignons que si cette objection au travail librement consenti vaut