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domaine du sentiment, considérations que comprennent ceux qui vivent intensément la vie sentimentale. Un anarchiste pourra résister plus ou moins longtemps à la rupture d’un contrat, s’il possède la conviction profonde que son camarade agit sous l’empire d’une influence pernicieuse. Il n’est rien là qui frise l’inconséquence. Selon son tempérament, il pourra souffrir, se lamenter même et qui donc lui reprocherait d’être autre chose qu’une équation géométrique ? C’est seulement s’il s’opposait catégoriquement, par la violence, sur un plan quelconque, à la dissolution exigée par son cocontractant que, au point de vue anarchiste, il cesserait d’être conséquent, dans le sens profond et pratique du mot.

À moins de motifs exceptionnels, d’un cas de force majeure, l’anarchiste qui impose la rupture du contrat irréfléchiment, à brûle-pourpoint me paraît un inconséquent et un camarade de mauvais aloi. Un compagnon anarchiste loyal ne profite de sa faculté de « rompre le contrat à sa guise » qu’après avoir obtenu l’adhésion sincère de son ou de ses contractants. On regardera pratiquement à deux fois ― sinon davantage ― avant de rompre une entente, manquer à des promesses, briser des conventions faites de bonne foi et qui sous-entendaient une confiance réciproque.

Il est impossible de faire passer la rupture imposée ou exigée à tout bout-de-champ, sans rime ni raison, infligeant de la souffrance inutile, comme un geste de camaraderie. Qu’est-ce donc que la camaraderie, sinon un contrat tacite conclu entre êtres qu’unissent certaines affinités intellectuelles ou sentimentales ou de gestes, afin de se rendre la vie plus agréable, plus plaisante, plus joyeuse, plus profitable, plus utile à vivre ?

On a demandé souvent quelle serait la différence entre l’humanité actuelle et une humanité anarchiste ou à tournure d’esprit anarchisante. Certes, topographiquement parlant, je l’ignore ; je suis hors d’état de fournir la nomenclature exacte des hameaux, des villages, des villes, des rues de chaque ville, des ruisseaux, des torrents, des chemins vicinaux. Mais je suis assuré d’une chose, c’est que le contrat social, le contrat d’association humaine n’y sera pas imposé, ni politiquement ni autrement ; pas plus par une caste que par une classe sociale. Dans les sociétés actuelles, l’unité humaine est placée en face d’un contrat social imposé ; dans toute humanité saturée, imprégnée d’esprit anarchiste, il n’existera que des contrats proposés. C’est-à-dire qu’un milieu anarchiste, une humanité anarchisante ne tolère pas, ne saurait tolérer qu’il y ait une clause ou un article d’un accord ou d’un contrat qui n’ait été pesé et discuté avant d’être souscrit par les cocontractants. Dans un milieu ou une humanité du type anarchiste, il n’existe pas de contrat unilatéral, c’est-à-dire obligeant quiconque à remplir un engagement qu’il n’a pas accepté personnellement et à bon escient ; aucune majorité économique, politique, religieuse ou autre, aucun ensemble social ― quel qu’il soit ― n’y peut contraindre une minorité ou une seule unité humaine à se conformer, contre son gré, à ses décisions ou à ses arrêts. ― E. Armand.


CONTREBANDE. n. f. Pour satisfaire aux appétits du capitalisme national, on a divisé le monde en contrées et on a établi entre elles des barrières que l’on ne peut franchir que sous certaines conditions. Il est interdit par la loi ou par certains décrets de transporter d’un pays à l’autre ou d’une ville à l’autre des marchandises prohibées par les règlements, non pas parce que ces marchandises sont impropres à la consommation ou aux besoins de la population, mais parce que leur importation nuirait aux intérêts d’une certaine catégorie de commerçants ou d’industriels. Ainsi que nous l’avons

démontré lorsque nous avons traité de la concurrence (voir ce mot) la douane n’a d’autres buts que de garantir les bénéfices des dits commerçants et industriels et quiconque passe outre les règlements et introduit en fraude les produits interdits, fait de la contrebande.

Cependant, malgré les rigueurs de la loi, la contrebande se fait sur une grande échelle et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce sont souvent des capitalistes et non des moindres, qui se livrent à ce trafic.

La bourgeoisie française ne se contente pas des bornes internationales, elle en a dressé à l’intérieur même du pays. Au sein même de la nation, toutes les villes ne sont pas régies par le même statut et il est interdit de transporter de l’une à l’autre certaines marchandises sans payer une redevance à la commune dans laquelle on importe cette marchandise. L’argent récolté sert à équilibrer les budgets communaux.

Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait des gens se livrant à la contrebande.

À côté de cette contrebande commerciale il y a ce que l’on appelle la contrebande de guerre et en principe on considère comme entrant dans cette catégorie de contrebande tous les objets fabriqués à l’usage de la guerre : fusils, canons, munitions, et même les vivres lorsqu’il s’agit d’une place investie.

La contrebande entraîne la saisie des marchandises importées frauduleusement et l’emprisonnement pour le contrebandier. Pourtant les peines d’emprisonnement ne sont en réalité appliquées en matière de contrebande de guerre que lorsque ce sont des révolutionnaires qui cherchent à se procurer des moyens de défense ; lorsque ce sont les éléments bourgeois et réactionnaires qui vont à l’étranger pour acheter des armes et les introduire dans le pays dans le but de s’en servir contre la classa ouvrière, ils bénéficient toujours de l’indulgence des tribunaux et de la magistrature, Cela se comprend.


CONTREMAÎTRE. n. m. Personne qui dirige les ouvriers et les ouvrières dans un atelier ou un chantier « dit le Larousse ». Cette définition est fausse. Le contremaître est un valet inconscient de la bourgeoisie, qui, issu de la classe ouvrière, trahit ses camarades et se met au service de ses oppresseurs.

Il y a des besognes secondaires que le bourgeois ne veut pas faire lui-même et des contacts auxquels il se refuse. Pour maintenir entre lui et son personnel, les relations indispensables à la marche de ses affaires, le capitaliste a recours à un intermédiaire auquel il accorde quelques avantages, en échange de quoi cet intermédiaire se soumet de plein gré à l’autorité patronale et consent à veiller et à surveiller ses camarades de façon à ce qu’ils ne piétinent pas les intérêts du maître. Cet intermédiaire est le contremaître, c’est-à-dire « à côté du maître ». Il est encore des prolétaires qui s’illusionnent sur les fonctions de ce chien couchant et qui assurent qu’il se trouve de bons contremaîtres ; c’est que l’ouvrier ne se rend pas compte du rôle qu’est obligé de jouer le représentant du patron.

Un bon contremaître est impossible ; si ses services ne sont pas avantageux pour celui qui l’emploie, il ne tarde pas à être remercié ou être remis au même niveau que ses anciens camarades, et s’il veut conserver sa place et conserver la confiance de son patron, il est alors obligé de défendre des intérêts qui sont diamétralement opposés à ceux de l’ouvrier.

En conséquence, le contremaître ne peut être qu’un agent inférieur de la bourgeoisie, et il est d’autant plus méprisable lorsqu’il agit consciemment, qu’il se dresse de façon continue entre le patron et l’ouvrier et empêche ce dernier d’acquérir le bien-être et la liberté auxquels il a droit.