Page:Faure - Encyclopédie anarchiste, tome 1.djvu/477

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
DAN
474

d’Hélène, Théocrite a dépeint les douze vierges qui, devant la porte des époux :

…dansent, la tête ceinte
D’une molle couronne où fleurit l’hyacinthe.
…La jeune troupe, avec un art ingénieux,
Croise les pieds et bat le sol harmonieux ;
Sur un seul rythme, avec ses doux chants entrainée,
Elle emplit la maison d’un brillant hyménée ».

(Traduction Seners).

Plus ou moins mêlés de pantomimes et de tours de force étaient : le mothon, violent et licencieux, spécial aux Lacédémoniens de bas étage ; la phrygienne, danse paysanne avec chants et attitudes grotesques, qui suivait des libations copieuses, de même que l’angélique et la cidaris ; l’apokinos, ou « danse du pétrin ». avec ses mouvements des reins et des hanches ; le callibas, dansé en se frappant les flancs ; le bibasis, avec coups du talon ; l’épilénios, ou « danse du pressoir », décrite dans Daphnis et Chloé ; la lamprotera, accompagnée de chants licencieux ; la morphasmos, imitation comique des animaux ; l’ascoliasmos, avec sauts sur des outres pleines et frottées d’huile ; la kybistésis, marche sur les mains et jet de feu par la bouche ; l’eclactismos, élévation du talon au-dessus de l’épaule ; la thermistris, ou « danse du creuset » avec les exercices de clownerie etc… A Rome, les bergers dansaient le tripudium en frappant trois fois du pied.

Nous verrons plus loin comment le trouble et l’inquiétude apportés par l’Eglise dans la joie populaire influencèrent la danse. L’Eglise arriva à tarir ses sources chez le peuple, mais elle ne parvint pas à la supprimer ; elle ne réussit qu’à lui faire prendre les formes guindées et hypocrites de la « danse de société ». Avant d’en arriver là, les danses populaires connurent un remarquable épanouissement.

En Italie, le peuple dansait la giga, la gagliarda, la tarentella, la saltarello, la siciliano, la forlane, la bergamasque, pour ne citer que des danses qu’on voit encore aujourd’hui.

Les danses espagnoles ont toujours eu un caractère particulièrement voluptueux qu’elles ont hérité des danseuses de Gadsé (Cadix) d’origine phénicienne, et des danses maures apparentées à la chika des nègres, grande danse exprimant toutes les péripéties de la lutte d’amour. On retrouve la première influence dans le fandango et le boléro ; la seconde dans la moresque, dansée aussi en Provence, en Corse et dans les Balkans. Il y avait encore le jaleo, à Xérès ; l’ole gaditano, à Cadix ; la rondeña, à Ronda, et les différentes danses basques. Plus modernes sont les gamoelas, potto, rastroso, gorrona, pena mora, zapaleado, gira, etc… Eurent une grande vogue les gallarda, sarabande, chaconne, zorouzo, escarraman, qui sont passés du peuple au théâtre. Les séguidillas, moins libres que les précédentes, ont fourni le fond des danses populaires actuelles qui combinent la danse et le chant.

En Allemagne, la danse populaire se manifesta de bonne heure dans les danses guerrières et les danses champêtres. Certaines ont un caractère religieux comme la Siebensprung. La coutume sauvage des duels d’étudiants paraît une survivance des jeux guerriers germaniques que décrivait Tacite. Les danses champêtres, très répandues au moyen-âge, paraissent avoir été empruntées à la France.

L’Angleterre et l’Ecosse ont des danses populaires originales de la plus grande variété. Les œuvres de Shakespeare et de Walter Scott contiennent de fréquentes allusions à la danse. Les réunions d’hiver des populations celtiques de l’Highland sont de véritables écoles où la jeunesse apprend les anciennes danses nationales exécutées au son de la cornemuse. Au pays de Galles, il n’y a pas longtemps qu’on dansait encore en célébrant la primitive fête des lacs. Les Écossais

ont conservé, entre autres danses de jadis, celle des épées où figurent les saints les plus populaires qui chantent et dansent. Le Dancing-Master donnait en 1716 la description et les airs de 560 danses anglaises.

En Scandinavie, on a relevé environ 400 danses populaires. Une danse des elfes n’a pas complètement disparu en Suède.

Dans les Pays-Bas, la danse populaire la plus curieuse est celle des matelots.

Chez tous les slaves, la danse tient la plus grande place, Elle est « un trait fondamental de leur psychologie » (Grande Encyclopédie). Elle est profondément attachée aux coutumes locales et s’est maintenue avec elles. C’est chez ces populations qu’on retrouve le plus de danses anciennes. La Bohème a conservé longtemps la Chodowska, danse guerrière des paysans du Bœhmenvald ; la husistska, danse religieuse des hussites ; l’umrlec, danse des morts qui remonte aux temps païens. Les danses qui sont mêlées à la poésie populaire ont subsisté, telles la strasak et la baborak. La Pologne a la mazurka, la cracovienne, la polonaise, parmi les plus célèbres qui sont passées du peuple dans les salons et au théâtre. En Russie, chaque province a ses danses populaires. En Roumanie, la pumanieska est la plus répandue. En Serbie, c’est le kolo.

Les Magyars ont des danses apparentées à celles des Cosaques et caractérisées par la musique tsigane. La csardas est leur danse nationale ; toutes les classes la pratiquent. D’anciennes danses étaient celle des trois cents veuves exécutée aux enterrements et une danse des morts où l’on simulait la toilette d’un cadavre.

Chez les Turcs, qui semblent, comme la Beauté de Baudelaire, haïr « le mouvement qui déplace les lignes », la danse est surtout un spectacle auquel ils assistent paresseusement. Ils aiment voir des danses voluptueuses, telle la romaïque, ou « danse du mouchoir ». En Égypte, le spectacle de la danse est donné par les ghawazies (danseuses) et les oualems (chanteuses) qui vivent en parias dans des quartiers spéciaux, mais se mêlent à la population à l’occasion des fêtes. Dans son Voyage en Orient, Gérard de Nerval a dépeint leur danse « représentation exacte de celle des femmes de Gadès telle qu’elle est décrite par Martial et Juvénal » et telle que, bien avant encore, les ghawazies la pratiquaient pour le divertissement des premiers Pharaons, comme en témoignent les sculptures de nombreux tombeaux. Gérard de Nerval a fait aussi le récit d’une « Noce aux flambeaux », à laquelle ces danseuses participaient, et celui d’une fête de la circoncision où les ghawazies, que la famille trop pauvre n’avait pu payer, étaient remplacées par des Nubiennes dansant pour leur plaisir au son des tarabouks (tambours de terre cuite).

Dans les pays d’Extrême-Orient, les danses, même publiques, ont gardé un caractère religieux primitif comme toutes les cérémonies. Les danses des bayadères, qui s’exécutent dans les temples de l’Inde, n’en sont pas moins des plus provocantes et d’un voluptueux raffinement. Méry, dans sa Guerre du Nizam, a décrit la fête indienne de Dourga, déesse de la destruction, célébrée dans le Bengale.

La France a vu la plus remarquable éclosion de la danse populaire dans son union intime avec la poésie de même caractère. Toutes deux sont à l’origine de l’œuvre littéraire la plus belle du moyen-âge. Ensemble, elles se sont répandues dans les pays voisins et les ont marqués d’une influence profonde. L’ancien français avait de nombreux mots pour désigner la danse ; aucun n’était d’origine latine. C’était d’abord le mot dansee, qui venait, soit de l’allemand dansôn (d’après Littré), soit de formes celtiques (Larousse), soit d’une autre origine, inconnue d’après G. Paris. On disait aussi : dansement, danserie. On employait en outre les mots tresce et tresche avec leurs dérivés, les verbes trescier, tres-