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courir la tératologie ou étude des êtres anormaux à l’étude vies êtres normaux.

Il était réservé à Charles-Robert Darwin (1809-1882) de faire triompher les idées transformistes que Lamarck avait le premier défendues d’une façon précise. Quarante-quatre ans après l’Histoire des animaux sans vertèbres, Darwin publiait son Origine des Espèces, qui attira l’attention sur une théorie sur laquelle on faisait systématiquement le silence dans les Universités. Darwin avait lu le Traité de la Population de Malthus (voir Malthusianisme) qui le mit sur la voie, car Malthus y parlait de la disparition des individus moins bien doués que les autres. Son grand-père Érasme Darwin, médecin et poète, auteur des Amours des Plantes, qui reconnaissait une parenté réelle entre l’aile de l’oiseau et le bras de l’homme, l’avait lui-même précédé. Oken, Haeckel, Spencer et d’autres philosophes anglais et allemands ont servi la cause du darwinisme, soit en lui préparant le terrain, soit en prenant fait et cause pour lui. L’illustre géologue anglais Charles Lyell, dont Darwin avait épousé la cousine, avait engagé la géologie sur le chemin de l’évolutionnisme avec Les principes de géologie (1830), livre dans lequel il combattait le catastrophisme cuviérien en expliquant les transformations subies par le globe terrestre dans le passé par les mêmes causes que les phénomènes, actuels (théorie des causes actuelles). Il devait aussi écrire un ouvrage sur l’ancienneté de l’homme prouvée par la géologie. Enfin, n’oublions pas que la formule « L’homme descend du singe » est due à Huxley qui, d’abord partisan de la Bible, se rallia à l’hypothèse darwinienne, qu’il généralisa en l’appliquant à l’homme. Comme Huxley était moins prudent que Darwin, il y gagna de perdre sa chaire de professeur, alors que son ami obtint les honneurs officiels.

A quoi tiennent les découvertes scientifiques, les systèmes philosophiques ou autres ? Le hasard y joue souvent un grand rôle. Nous devons au nez de Darwin de pouvoir parler aujourd’hui de l’évolutionnisme ! Darwin avait décidé de faire un voyage sur le Beagle, bateau peu solide, sur lequel il fallait un certain courage pour s’embarquer. « Ce voyage a été de beaucoup, nous dit-il, l’événement le plus important de ma vie et a déterminé ma carrière scientifique ». Or, ce voyage dépendit de la forme de son nez, Darwin ayant voulu prouver aux disciples de Lavater qu’il ne manquait point d’énergie. Sans le nez de Darwin nous ne saurions peut-être pas que l’homme descend du singe. Il a joué dans l’histoire un rôle aussi grand que celui de Cléopâtre ! Pendant cinq ans, Darwin explora l’Amérique du Sud et les îles du Pacifique, il recueillit dans ce voyage une foule de matériaux pour l’Origine des espèces. Mais il ne se décida que très tard à exposer son système. Nul travail ne fut moins improvisé. Vingt ans Darwin médita son sujet, et il ne mit le public au courant de ses travaux que sur l’insistance de ses amis.

Darwin se plaçait à un autre point de vue que Lamarck. Il ne cherchait nullement l’origine de la vie et ne croyait pas à la génération spontanée. Il philosophe le moins possible, laissant ce soin à ses amis, et se contente d’accumuler des faits et d’en tirer les conclusions. Avec lui, il ne s’agit plus de l’influence du milieu, mais de la sélection naturelle. Darwin constatait que plus de cent formes animales transmissibles par voie de reproduction normale dérivent d’une forme spécifique unique : toutes les races de pigeons descendent du biset seul. Darwin retrouvait dans la nature la sélection opérée par les éleveurs, qui font varier les espèces. D’un nombre restreint d’espèces la nature a fait naître de nombreuses espèces, au moyen de la lutte pour la vie dans laquelle triomphe le plus apte. A la sélection naturelle s’ajoute la sélection sexuelle, les procréateurs les plus avantageux pour l’espèce étant les plus forts. Cette sélection sexuelle a une très grande

importance pour Darwin. Il a bien vu le sens esthétique chez les oiseaux : les mâles s’ornent en vue de plaire aux femelles, qui savent désarmer les plus beaux d’entre eux.

Darwin appuie ses théories sur une foule d’observations. C’est cette abondance de détails qui a fait la force de son Origine des espèces, paru en novembre 1859 (cette même année Albert Gaudry qui a démontré l’évolution par la paléontologie prenait la défense de Boucher de Perthes contre ceux qui niaient l’ancienneté de l’homme). Cet ouvrage était impatiemment attendu depuis la communication faite l’année précédente à la Société Linnéenne par Darwin et Wallace. Les deux savants avaient soutenu presque en même temps les mêmes idées, Alfred Wallace lui avait envoyé un mémoire sur La tendance des variétés à s’écarter indéfiniment du type originel. Il y exprimait une hypothèse qui différait de celles de Lamarck, puisqu’à l’influence du milieu il substituait l’idée de sélection naturelle. Darwin hésitait à publier ses recherches, à cause de leur analogie avec celles de Wallace, mais Lyell parvint à le décider. Il résuma alors sa doctrine dans l’Origine des espèces, qu’il communiqua à la Société Linnéenne. L’ouvrage eut un immense succès, mais en même temps il déchaîna la colère de la réaction.

L’Origine des Espèces fut le point de départ d’une campagne de mauvaise foi et de calomnies dirigée contre l’évolutionnisme par les gens d’Église. Le premier épisode de la « bataille de l’évolution » se déroula à. Oxford, en 1860, au sein de l’Assemblée de la British Association, présidée par l’évêque Wilberface qui s’efforça, mais en vain d’être spirituel. Darwin, qui avait eu la chance de convertir à ses idées le grand naturaliste Huxley, vit celui-ci aux prises avec l’évêque qui lui demanda rageusement si c’était par son grand-père ou sa grand-mère qu’il descendait du singe. Huxley, dont la devise était : « Détruire toutes les charlataneries, si vastes soient-elles » répondit qu’il était plus honorable pour lui de descendre du singe que d’être parent avec un homme de mauvaise foi, qui parlait ce qu’il ne connaissait point. Huxley a beaucoup fait pour la propagande des idées darwiniennes. On peut dire qu’il se donna tout entier à la cause de son ami. N’est-ce pas lui qui disait fort sagement : « Mieux vaut un singe perfectionné qu’un Adam dégénéré » ? Huxley exposa dans différents journaux et dans ses livres les théories honnies, les répandit dans de nombreuses causeries en 1861 et 1862, sur Les rapports zoologiques entre l’homme et les animaux inférieurs, repoussant dédaigneusement les armes perfides employés contre lui par la réaction pour entraver l’idée en marche. Huxley qui professait en philosophie l’agnosticisme et pratiquait à sa manière le socialisme en faisant l’éducation des masses ouvrières dans des cours populaires, publia en 1863 son principal ouvrage : Place de l’homme dans la nature, qui fut suivie d’une série de conférences sur Les diverses races humaines. Cet ouvrage augmenta le nombre de ses adversaires résolus à n’en point admettre les conclusions résultant des similitudes constatées par l’auteur entre la structure du cerveau de l’homme et des singes (Huxley était alors professeur de biologie dans ses rapports avec la paléontologie) :

« Les différences de structure entre l’homme et les primates qui s’en rapprochent le plus, ne sont pas plus grandes que celles qui existent entre ces derniers et les autres membres de l’ordre des primates. En sorte que si l’on a quelques raisons pour croira que tous les primates, l’homme excepté, proviennent d’une seule et même souche primitive, il n’y a rien dans la structure de l’homme qui appuie la conclusion qu’il a eu une origine différente. »

Saluons en Huxley le meilleur collaborateur de Darwin. Sa tâche fut de vulgariser l’évolutionnisme et le