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l’anarchisme en profitent pour affirmer que « Anarchie » est synonyme de désordre.

Nous savons qu’étymologiquement « Anarchie » signifie « sans autorité » et qu’en conséquence nous n’avons aucun droit de contester à quiconque le droit de se réclamer de l’Anarchie ; du reste, le voudrions-nous, nous ne pouvons imposer aucune sanction à l’Anarchiste « d’opéra-comique », et pourtant la liberté n’est qu’une chose relative dans une société où tout repose sur l’autorité. Où commence-t-elle et où s’arrête-t-elle ? M. Victor Serge, ex-individualiste notoire, et à présent agent du Gouvernement bolcheviste, se prétend toujours Anarchiste, et Ernest Girault également. Si à nouveau nous nous placions sur le terrain de la philosophie pure, ils ont raison, ils ont le droit et la liberté de se dire Anarchistes, mais alors, peuvent également se déclarer Anarchistes : le policier qui nous arrête, le magistrat qui nous juge, et le bourreau qui nous exécute.

C’est, à nos yeux, sur le terrain social, et sur le terrain social seul, que nous devons considérer les possibilités Anarchistes. Les mots n’ont que la valeur qu’on veut bien leur prêter, et il n’est de critérium possible, qu’en recherchant les origines de l’Anarchisme pour en arrêter les déviations.



C’est en 1865, à la suite de certains voyages de Français à Londres, que se fonda l’Association Internationale des Travailleurs. A ses débuts, cette organisation ne poursuivait aucun but politique et s’était assigné comme travail, d’étudier toutes les questions économiques intéressant la classe ouvrière. À cette même époque, le Marxisme commençait déjà à avoir ses adeptes, principalement en Allemagne, et Karl Marx, fin politicien, envisagea les moyens propres à accaparer la nouvelle puissance ouvrière.

Avec un doigté remarquable, Karl Marx évita de se mettre en évidence dans la jeune association, et n’assista même pas aux premiers Congrès ; mais, suivant une coutume qui s’est maintenue dans les milieux socialistes et qui fut adoptée plus tard par les communistes, il usa de pratiques sournoises en faisant travailler ses lieutenants. Lui restait dans l’ombre. La première internationale fut ainsi « noyautée » par les éléments politiques du marxisme, mais une opposition sérieuse ne tarda pas à se manifester, et deux ans plus tard, en 1867, lorsque Marx eut découvert ses batteries, Bakounine opposait à l’idéal marxiste « d’une société autoritaire » un système qu’il appela le fédéralisme antiautoritaire.

Ce ne fut pourtant que bien plus tard, exactement en 1871, qu’une majorité anti-marxiste s’affirma au sein de l’Internationale et ce n’est véritablement qu’en 1873, au sixième Congrès International de Genève, que, à la suite des manœuvres de Marx, qui ne pouvait accepter de se trouver dans la minorité, la scission, devenue inévitable, divisa les forces ouvrières.

Bakounine et ses amis n’hésitèrent pas après avoir fédéré les éléments anti-autoritaires de l’Association Internationale des Travailleurs, à fonder la Fédération Jurassienne, qui fut en vérité, la première organisation anarchiste.

C’est donc à cette époque que l’on doit placer la naissance du mouvement Anarchiste, en tant que mouvement autonome, détaché de toute autre organisation politique ou sociale ; car si, antérieurement, les partisans d’une société anti-autoritaire, avaient travaillé en collaboration avec les autres éléments révolutionnaires, ils entendaient en quittant l’Association Internationale des Travailleurs, créer un mouvement bien défini et, en évitant toute confusion possible, se désolidariser entièrement des défenseurs du principe d’autorité.

La résolution qui fut présentée au Congrès de Berne en 1876 et qui fut acceptée par l’unanimité des délégués situe nettement les adversaires de l’autorité et signalent les buts que poursuivent les Anarchistes.

Voici cette résolution :

1° Plus de propriété, guerre au capital, aux Privilèges de toutes sortes et à l’exploitation de l’homme par l’homme ;

2° Plus de Patrie, plus de frontières ni de lutte de peuple à peuple ;

3° Plus d’État, guerre à toute autorité dynastique ou temporaire et au parlementarisme ;

4° La révolution sociale doit avoir pour but de créer un milieu dans lequel, désormais, l’individu ne relèvera que de lui-même, sa volonté régnant sans limite et n’étant pas entravée par celle du voisin.

C’était bien là un programme social, non pas individuel, mais collectif et, pour préciser l’esprit qui animait les Anarchistes, et rechercher sincèrement ce que fut l’Anarchisme à ses débuts, il n’y a qu’à reprendre la résolution d’Élisée Reclus, présentée au 3e Congrès Anarchiste de Fribourg et adoptée à l’unanimité des délégués présents :

« Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons la justice… Jamais un progrès ne s’est accompli par simple évolution pacifiste et il s’est toujours fait par une évolution soudaine. Si le travail de préparation se fait avec lenteur dans les esprits, la réalisation des idées se fait brusquement. Nous sommes des Anarchistes qui n’ont personne pour maîtres et ne sont les maîtres de personne… Il n’y a de morale que dans la liberté. Mais nous sommes aussi collectivistes internationaux, car nous comprenons que la vie est impossible sans groupement social. »

Enfin, en 1880, un Congrès, tenu également en Suisse, décide d’abandonner le terme « Collectivisme » et d’adopter celui de « Communisme ».

Si l’on veut polémiquer en toute sincérité, on reconnaîtra aisément que les thèses soutenues par les « Anarchistes individualistes » sont loin, bien loin, de ces résolutions et si l’on accepte comme étant le but de l’Anarchisme et des Anarchistes de réaliser une société sans autorité, au moyen de la Révolution sociale, on constatera que bon nombre de nos amis se sont sensiblement éloignés des bases fondamentales sur lesquelles reposait l’organisation primitive des Anarchistes.

La question que nous voudrions ici éclaircir, n’est pas de savoir qui est dans la logique et dans la raison ; si ce sont nos camarades qui se réclament de l’individualisme ou ceux qui se réclament du communisme libertaire. Ces questions sont l’objet d’un examen spécial et d’une étude à part. Nous voulons rechercher, s’il y eut des déviations anarchistes et qui, idéologiquement à l’heure actuelle, peut se réclamer de l’Anarchie.

Un mouvement se crée, il établit une ligne de conduite, il se trace un chemin, il détermine son but ; ce mouvement, pour se caractériser des autres mouvements, pour se signaler de ceux qui prennent une route qui, à première vue, semble parallèle, choisit un terme, une appellation inusitée antérieurement. Au bout d’un certain temps, débordant des cadres de ce mouvement, un certain nombre d’individus, à tort ou à raison, le considérant comme n’étant pas conforme à leurs aspirations, s’en séparent et forment à côté un autre groupement, une autre association. Ils sont peut-être dans le vrai, la raison et la logique peuvent être de leur côté, mais s’ils emploient, pour signifier leur mouvement, la même terminologie que celui qu’ils viennent d’abandonner, immédiatement se manifeste une confusion, et leur mouvement n’est qu’une variation, qu’une déviation du mouvement d’origine.

C’est ce qui s’est produit pour l’Anarchisme, et sincè-