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sentiment. Pour celui qui l’adopte ou qui la compose, elle signale un but ou une résolution.

La devise est souvent précédée d’une figure emblématique. Cette figure est le corps de la devise ; la sentence en est l’âme.

La devise est une invention de la chevalerie ; et à une certaine époque, tracée sur les armures, elle servait de marque distinctive aux chevaliers. C’est ce qui explique que chaque membre de la haute noblesse avait une devise particulière.

Il est des devises qui sont historiques et qui resteront comme une image reflétant l’esprit, le caractère, d’une époque ou d’un individu.

La devise de Louis XI représentait un fagot d’épines, et était suivie de cette sentence : « Qui s’y frotte s’y pique. » Dans ces quelques mots apparaît tout le caractère de ce roi cruel et méchant. La devise de Louis XIV est pleine de prétentions ; elle est représentée par un soleil : Nec pluribus impar « Je suffirais à plusieurs mondes » Et les Rohan, qui se font une gloire, de nos jours encore, d’être la plus vieille famille de noblesse française : « Roi ne puis ; prince ne daigne ; Rohan suis. »

Aujourd’hui, l’individu ne compose plus de devises, mais les institutions ont chacune la leur. Personne n’ignore quelle valeur on peut leur accorder. La devise de la République française est « Liberté-Egalité-Fraternité » à laquelle on peut ajouter celle du drapeau : « Honneur et Patrie. »

Les hommes se sont fait tuer et peut-être se feront-ils tuer encore pour des mots. Ce qui ne peut faire l’ombre d’un doute, c’est que la République a manqué à sa devise. De liberté, nous n’en avons pas plus que sous les régimes qui ont précédé le nôtre ; la fraternité se manifeste par une lutte constante où les plus faibles sont écrasés sous la botte du plus fort, et l’égalité n’existe que sur le papier.

Personne ne peut être adversaire de la devise républicaine : chacun aspire à la liberté, à la fraternité et à l’égalité entre tous les hommes ; mais il ne suffit pas d’adopter une devise, il faut la respecter, il faut travailler pour qu’elle ne reste pas une idée abstraite, pour qu’elle se réalise, se matérialise.

Les Anarchistes ont compris que la devise républicaine était incomplète et ne reflétait pas suffisamment leur soif de libération universelle, et que la liberté, l’égalité et la fraternité ne pouvaient voir le jour que lorsque les bases économiques des sociétés auront été transformées. C’est pourquoi leur devise est : « À chacun selon ses forces, et à chacun selon ses besoins. »


DEVOIR. verbe (du latin debere ; autrefois on écrivait debvoir). Avoir des dettes ; il me doit cent francs et je me dois de les lui réclamer ! Être obligé à quelque chose ; je dois rendre visite à cette personne ; nous devons des égards à toute personne sincère et respectable ; les jeunes gens doivent s’instruire et s’éduquer s’ils veulent se rendre utiles dans la vie ! Proverbe : « Fais ce que tu dois, advienne que pourras. Va où tu peux, meurs où tu dois. »

Accompagné d’un autre verbe, devoir présente différents sens. Intention, projet : je dois aller demain faire ce travail. Probabilité : Le capitalisme doit disparaître, si les hommes veulent vivre fraternellement. Certitude : Quoi que l’on puise faire, chaque être humain doit mourir !

S’emploie substantivement à la troisième personne de l’indicatif en comptabilité : tenir ses comptes par doit et avoir !  !  !

Être obligé envers soi-même : « Si je dois tant d’égards à tout ce qui m’environne, ne m’en dois-je point aussi quelques-uns à moi-même ? » (J.-J. Rousseau)


DEVOIR. n. m. « Ce à quoi l’on est obligé ». Telle est la définition que le Larousse nous donne du devoir. En termes clairs, cela veut dire que le devoir est une contrainte.

S’il est vrai que le devoir est la limite du droit, que c’est le respect du droit d’autrui, il faudrait donc pour bien définir le devoir, déterminer ce qu’est le droit. Or, à nos yeux il n’y a qu’un droit, un droit inné : c’est celui de vivre ; et il en découle que tous ceux qui s’opposent à la vie de l’individu, que tous ceux qui empiètent sur le patrimoine moral, intellectuel, économique et social de son semblable, nuisent ou s’opposent à son évolution et à son épanouissement manquent à leurs devoirs.

Le « devoir », au sens bourgeois du mot, ne se présente pas sous cet aspect, et c’est pourquoi, nous le considérons comme une abstraction qui divise l’humanité en deux parties, la première étant composée des dupes courbés sous le joug des fripons qui composent la seconde. Il est de fait que les fripons, par la naïveté et la bêtise humaines, sont les plus forts, et ce sont eux qui, depuis les temps les plus reculés, perpétuent la servitude des esclaves, des pauvres et des opprimés. Ce sont eux qui créent, qui inventent des devoirs auxquels sont astreints des millions d’individus. Obéir à la loi est un devoir. Mourir pour la patrie est un autre devoir, et ce qu’il y a de terrifiant, c’est qu’à travers les âges il s’est toujours trouvé des savants et des poètes pour chanter le devoir.

En un mot, devoir est synonyme d’obéir ; et, comme obéir suppose un maître, le devoir tel que le conçoivent les moralistes n’est pas un facteur d’évolution et de liberté, mais bel et bien un facteur d’asservissement et de recul.

Le devoir de l’écolier est d’écouter son maître, son professeur, qui sait tout, qui dit tout et qui ne se trompe jamais. Je connais un enfant à qui l’on donna un jour, dans une école supérieure, comme sujet de composition : « Vous vous arrêtez devant un magasin et en voyant la diversité des marchandises, vous pensez à l’utilité du commerce et au bien-être qu’il procure à l’humanité. Exprimez vos sensations et vos pensées. » L’enfant vint me trouver pour l’aider dans son travail, et je restai embarrassé. Que pouvais-je lui dire, sinon une chose qui lui eût valu une sévère réprimande de son professeur ? J’évoquai en moi-même tous les méfaits du commerce, tout le mal qu’il fait, toutes les bassesses de ceux qui s’y livrent, tous les crimes monstrueux dont il fut la cause, et toutes les guerres qu’il engendre encore en notre siècle de soi-disant civilisation. Je pensai que si, selon Raynal, le devoir « peut être défini, l’obligation rigoureuse de faire ce qui convient à la Société », alors le commerce était contraire à tous les devoirs puisqu’il était une source de richesse et d’opulence pour les uns et de souffrances et de misères pour les autres.

Le petit écolier n’a pas fait, en ce sens, sa composition. Moi aussi j’ai manqué à mon « devoir ». Je n’ai pas eu le courage de l’exposer aux foudres de son maître et aux risées de ses petits camarades qui ont du devoir une conception commune, générale et qui n’en auraient pas comprise une autre. Il est bon de se souvenir et de se répéter cette pensée profonde de Guyau : « Si un tigre croyait, en sauvant la vie d’un de ses semblables, travailler à l’avènement du bien universel, il se tromperait peut-être. » Comme le tigre du philosophe, le maître d’école s’imagine peut-être travailler pour le bien-être de l’humanité en enseignant aux enfants une erreur qui est la base de tout le vice social et qui entrave la marche en avant de la civilisation. Il croit remplir son « devoir », et il le remplit en vérité, mais, hélas ! Ce n’est qu’un lent travail de corruption intellectuelle, qui consiste à préparer la jeunesse à l’accomplissement d’un nombre incalculable de « devoirs » qui leur feront oublier leur droit le plus élémentaire : le droit à la vie.