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FAM
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tion économique n’aura point été elle-même soumise à de profondes modifications, grâce à des assurances sociales mutuelles, que seule peut garantir l’exploitation, par la collectivité tout entière, des moyens de production et de consommation. Ce retour vers le communisme primitif, quoique avec des formes considérablement différentes, ne nous ramènerait point forcément à la promiscuité brutale, et aux habitudes de rapt, du troupeau contemporain de la pierre polie. L’être humain s’est, depuis cette époque, affiné suffisamment par le culte de la science et des arts, et les préoccupations intellectuelles de tout genre, pour s’être rendu apte à de plus courtoises et poétiques relations.

La famille, qui représente un petit état dans l’État, est ordinairement à l’image de la société dont elle est une partie constitutive. Le père y fait fonction de souverain. Despotique jadis, jusqu’à conférer le privilège de disposer de ses enfants et même d’avoir sur eux droit de vie et de mort, son rôle est devenu plus modeste, à mesure que la femme prenait dans la vie publique une importance plus grande, et que la jeunesse s’émancipait au souffle des conceptions démocratiques et révolutionnaires.

Quand auront disparu les contraintes d’ordre économique et juridique qui liaient les uns aux autres, souvent bien malgré eux, des êtres d’aspirations incompatibles, il est probable que les humains se réuniront en raison de leurs sympathies intellectuelles et sentimentales, beaucoup plus qu’en vertu d’autres motifs, et qu’ils vivront librement par groupes où la consanguinité sera d’une importance secondaire. ‒ Jean Marestan.

FAMILLE. Dans son beau livre La Femme et le Socialisme, le grand sociologue allemand, Auguste Bebel fait dater l’amour des Croisades. Je n’ai jamais compris au Juste ce qu’il a voulu insinuer par là. Élisée Reclus, par contre, écrit dans son œuvre monumentale, L’Homme et la Terre, que les Égyptiens des premiers âges avaient parfaitement compris le langage de l’amour.

J’estime, quant à moi, que l’amour est la flamme vivifiante de l’Univers illimité et éternel, qui, d’après Goethe, serait « Kern und Schaale, aller mit Einemmale », c’est-à-dire cause et effet à la fois et que, dans le cosmos incréé, l’amour, force d’attraction, aurait encore le plus de droit de proclamer : le but de l’existence c’est moi, geste créateur de vie et de conscience !

Dans « Nouvelles de nulle part », le poète anglais William Morris conclut que l’homme du xixe siècle hait la vie et redoute la mort, tandis que l’homme affranchi de l’avenir aimera la vie et saura faire face à la mort. Je crois qu’il en sera également ainsi de ce coin du ciel, volé par la religion qu’est l’amour, trait d’union entre le passé et l’avenir, lorsque Éros se sera enfin dégagé de la gangue des souillures et des préjugés spiritualistes. Alors, jalousies et meurtres passionnels disparaîtront et, dépouillé de l’égoïsme morbide qui l’annihile et du péché originel qui le dégrade, son auréole lumineuse éclipsera jusqu’à la mort elle-même dans son rayonnement de douce et bienfaisante volupté…

Tous les socialistes conscients, communistes relevant de l’idée anarchiste ou de la méthode marxiste et convaincus, comme Montaigne, que le geste de l’amour, qui crée la vie est aussi respectable que la pensée qui véhicule l’humanité vers plus de bien-être et de conscience, pensent, avec Victor Hugo, qu’il faut briser les barreaux de la cage familiale pour mettre en liberté l’Amour.

Certes, à moins d’être insensé ou fou, il ne viendra jamais à l’esprit d’une personne équilibrée de vouloir séparer les parents et les enfants, si leur vie commune est basée sur l’affection mutuelle.

Mais, neuf fois sur dix, pour ne pas dire quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il n’en est pas ainsi. La femme, qui doit obéissance à son mari (§§ 213, 214, 215 du Code Civil) est sa subordonnée ; les enfants qui, à tout âge (§ 371 du Code Civil) doivent honneur et respect aux parents, sont leurs sujets, et notre famille hiérarchisée constitue l’embryon de la monarchie.

Dans la Rome antique, grande et odieuse, filles et garçons pouvaient, avec le consentement de leur famille, se marier dès 12 et 14 ans, mais il fallait à tout âge, pour contracter « les justes noces », le consentement du chef de famille, du grand-père, et s’il était décédé, du père.

En France, à Abbeville, en 1610, Jeanne Duret fut condamnée à être fouettée publiquement par « trois dimanches de suite », sur le marché en face de l’église, pour s’être laissé épouser clandestinement, elle, fille du peuple, par un jeune chevalier qui fut quitte pour un an de prison.

Sous nos quarante rois qui, en mille ans ont fait, d’après Maurras, l’unité française, l’homme ne pouvait se marier contre la volonté de ses parents qu’à 30 ans, et après trois sommations respectueuses, et cela sous peine d’exhérédation pour lui et huit années de galères pour le prêtre qui aurait béni son union.

Par le décret du 16 août 1790, la Grande Révolution française supprima tout consentement des parents pour se marier à partir de 21 ans pour les deux sexes, et la Convention, de glorieuse mémoire, fixa l’âge minimum pour se marier à 13 ans pour les filles et à 15 ans pour les garçons.

Bonaparte, assassin de la République et fléau de l’Europe, exigea par le Code qui porte son nom maudit, 21 ans pour la femme et 25 ans pour l’homme, afin de pouvoir se marier contre la volonté des ascendants, et encore fallait-il, depuis cet âge jusqu’à 25 ans pour la femme et 30 pour l’homme, faire trois sommations respectueuses, réduites à une pendant toute la vie après 25 ans pour la première et 30 pour le second.

La loi du 21 juin 1907 autorise tous les français, hommes et femmes, à se marier à 21 ans contre la volonté de leurs parents, et, après 25 ans, sans qu’on soit obligé d’avertir ses ascendants de ses projets matrimoniaux.

Tous les pays de l’Europe et de l’Amérique ainsi que la Chine et le Japon nous ont précédé dans cette voie, et partout aujourd’hui on peut se marier à 21 ans contre la volonté de la famille. En Russie, la majorité matrimoniale, politique et économique a été fixée à 18 ans, et aux états de New-York, New-Jersey, Pensylvania, Kentucky, Louisiana, Virginia, Floride, Maryland, Rhode Island, Tennessee, Colorado, Idaho, Maine, et Mississippi de l’Amérique du Nord, les mineurs de 18 et même de 16 ans peuvent se marier sans aucune autorisation préalable. Dans ces pays où l’âge minimum pour contracter mariage est de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons, il y a, à l’heure qu’il est, 667.000 personnes qui ont été mariées à cet âge.

Au point de vue sexuel, la famille est généralement une honte, une torture, une horreur.

En enseignant aux enfants que le geste de la vie est impur et criminel, la famille, par la contrainte sexuelle qu’elle impose, propage l’onanisme qui fait des êtres sans volonté, des déviés et des crétins. Les pratiques lesbiennes et la pédérastie sont aussi, pour la plus grande part, dues à la chasteté exigée par notre infâme morale spiritualiste.

La famille, qui veut et doit être un bon placement de père de famille, est l’ennemi de l’amour. Elle contrarie cette sélection naturelle, la mésalliance heureuse, et est la cause première qui pousse la jeune fille dans la voie