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FER
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incomparablement moins notre admiration que dans ceux qui précèdent. Certes, c’est un droit absolu pour des amants brûlant d’un amour unique, de se vouer l’un à l’autre sans partage. C’est encore leur droit de se jurer — imprudemment ! — un amour éternel, et de s’efforcer de tenir parole.

Mais, dans le mariage légal, il n’est pas question de cela. La loi n’exige aucun serment de ce genre, et ne s’inquiète pas des motifs qui ont pu déterminer deux êtres à s’unir. Ils peuvent se détester dans quarante-huit heures, et se tromper en pensée tant qu’ils le voudront, elle n’en a cure.

Ce qu’elle sanctionne — et c’est la le méprisable de la chose — c’est un véritable contrat d’achat, par lequel une femme — qui agit parfois contre son désir, et sera tenue dorénavant d’obéir à son mari — se résigne à n’appartenir qu’à lui, en échange d’une garantie de protection et d’entretien, quelle que soit la conduite future de l’époux, quels que puissent être, par la suite, ses propres sentiments, tant que n’aura pas été rompu par la mort, ou par la décision de magistrats indifférents en l’occurrence, le lien qui les a réunis.

Il ne s’agit plus du don joyeux de soi-même, de la part de gens qui se sont accordés longuement, sans cesser de s’appartenir, mais bien de l’acceptation passive d’une chaîne que l’on sera contraint de subir encore, même lorsqu’elle n’inspirerait plus qu’un dégoût profond.

Tout ceci se trouve, évidemment, en fonction des conditions actuelles de la propriété, de la responsabilité paternelle, et des dispositions concernant l’héritage. Aussi n’y a-t-il pas lieu de jeter la pierre à ceux qui s’y soumettent, surtout lorsqu’ils réduisent, en fait, l’alliance à une formalité d’assurance sociale, et à une simple cérémonie conventionnelle. Mais il n’est pas inutile de souligner que, si la fidélité sexuelle librement consentie n’a rien de ridicule et peut-être un élément de bonheur à deux, celle qui est imposée par la force, même en accomplissement de certaines nécessités économiques, n’est qu’un vestige d’esclavage. — Jean Marestan.


FIDUCIAIRE (du latin fiducia, confiance). Ce mot a une popularité relativement récente, et ce n’est que depuis la « paix » qu’il a pénétre dans le peuple. Ce mot « se dit, nous enseigne le Larousse, de valeurs fictives fondées sur la confiance de celui qui les émet ». La monnaie fiduciaire ; la circulation fiduciaire. En principe, chaque billet de banque mis en circulation par un gouvernement est une valeur fictive, et doit avoir son équivalent en or dans les caisses du Trésor. C’est-à-dire que si un État a une encaisse or de 5 milliards de francs, il ne doit pas y avoir une circulation fiduciaire supérieure à 5 milliards de francs, de manière à ce que les détenteurs de billets soient en mesure de les échanger à leur gré contre la valeur équivalente en or. On comprendra donc facilement que la circulation fiduciaire repose uniquement sur la confiance d’une population, car si celle-ci est supérieure à l’encaisse or et que la population en réclame — ainsi qu’elle en a légalement le droit — le remboursement, l’État serait accule à la plus sombre faillite.

Avant la guerre, il y avait déjà dans de nombreux pays une circulation fiduciaire supérieure à l’encaisse or de l’État, mais cette monnaie fictive s’est accrue, pendant et après la guerre, dans de telles proportions, qu’elle a déséquilibré toute l’organisation économique du système capitaliste et les gouvernants de plusieurs nations sont obliges de recourir à des pis aller pour tenter de retrouver une stabilité, tout au moins provisoire.

Nous allons, afin de bien déterminer la situation financière des divers états du monde, après la guerre, dresser un tableau indiquant leur encaisse or et leur circulation fiduciaire en 1923 :

PAYS MONNAIE ENCAISSE OR Circulation fiduciaire
France Franc 5.500.000.000 40.000.000.000
Allemagne Mark 1.200.000.000 520 quintillions
Belgique Franc 266.000.000 7.000.000.000
Brésil Milrès 128.000.000 5.000.000.000
Gde Bretagne Livre St. 4.000.000.000 10.000.000.000
Canada Dollar 800.000.000 1.000.000.000
Australie Livre St. 570.000.000 1.200.000.000
Espagne Peseta 2.500.000.000 4.300.000.000
Etats-Unis Dollar 15.000.000.000 10.000.000.000
Italie Lire 1.000.000.000 17.000.000.000
Japon Yen 3.000.000.000 8.500 000.000
Pays-Bas Florin 1.240.000.000 2.200.000.000
Suisse Franc 641.000.000 981.000.000
Turquie Livre t. 1.300.000.000 4.000.000.000

On remarquera que, seule, de tous les états du monde, la République des États-Unis d’Amérique du Nord a une encaisse or supérieure à la valeur des billets en circulation. Tous les autres pays et particulièrement ceux qui eurent à souffrir directement de la guerre ont une encaisse or terriblement inférieure à la somme de billets de banque jetés sur le marché par des gouvernements à court d’argent. Il en résulte fatalement un desaxage dans les finances publiques, et c’est le travailleur qui, le premier, souffre d’un semblable état de choses.

On s’étonnera peut-être, en constatant, sur le tableau que nous avons trace, l’énormité de la circulation fiduciaire de l’Allemagne en 1923. C’est qu’au lendemain de la guerre, l’Allemagne poursuivit une politique financière particulière. N’ayant que peu de dettes extérieures, elle considéra qu’elle pouvait jouer sur une monnaie dépréciée, jetée sur le marché pour les besoins de la cause, et de cette façon se libérer assez rapidement des lourdes charges contractées durant ce carnage. Cette opération accula le prolétariat allemand à la famine. La valeur du mark changeait avec une rapidité inconcevable en 1922. et entraînait une augmentation continuelle du coût de la vie. Cette augmentation était si rapide qu’un ouvrier qui, le samedi, touchait le salaire de la semaine écoulée, ne pouvait pas, le lundi, avec le nombre de marks qu’il possédait, acheter ce qui était nécessaire à la vie d’une journée. Il faut dire que la situation de l’Allemagne était exceptionnelle et voulue par les dirigeants. Car, si la situation fiduciaire joue directement un rôle sur la valeur des produits d’importation, en ce qui concerne les produits de provenance intérieure, un gouvernement qui a la faculté d’imposer une valeur à une monnaie fictive, aurait, s’il n’était pas intimement lié a toute entreprise financière commerciale et industrielle, la possibilité — et le devoir — d’imposer de la même façon le prix des marchandises.

Nous avons dit qu’en France, la circulation fiduciaire était, en 1923, de 40 milliards de francs. Si l’on ajoute à cette somme toutes les autres valeurs fictives lancées par l’état, et qui, n’ayant pas directement une puissance d’achat, peuvent être échangées contre des billets de banque, la circulation fiduciaire augmente immédiatement, et nous allons voir que la position financière d’un état ou d’un gouvernement est, de la sorte, subordonnée aux grandes entreprises d’exploitation financière ou industrielle.

En 1923, la dette française par tête d’habitant était