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Ils ont négligé, volontairement, l’éducation primaire. Ils n’aimaient pas la culture pour elle-même, mais « comme une convenance imposée par le rang à certaines classes de la nation ». Ils attiraient dans leurs établissements les intelligences brillantes, afin que leurs succès rejaillissent sur la Compagnie, mais leur but était exclusivement de former des chrétiens « hommes du monde », en recrutant de nobles écoliers. Ignace recommandait spécialement le tact, les bonnes manières, la politesse, une culture superficielle en somme.

Ennemis de l’instruction populaire, ils partageaient contre elle toutes les préventions aristocratiques. On lit dans les Constitutions : « Nul d’entre ceux qui sont employés à des services domestiques pour le compte de la Société ne devra savoir lire et écrire, ou, s’il le sait, en apprendre davantage : on ne l’instruira pas sans l’assentiment du général de l’Ordre, car il lui suffit de servir en toute simplicité et humilité Jésus-Christ notre maître. »

Ils s’occupaient parfois des pauvres, cependant, dans leurs œuvres charitables, pour les asservir.

Les classes s’ouvraient et finissaient par la prière. De temps à autre, on interrompait le travail, au beau milieu d’une explication, pour une oraison jaculatoire ! Le passage d’un exercice à l’autre, la sonnerie de l’horloge, tout était prétexte à de nouvelles prières.

« Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu. »

Tout était combiné pour assujettir les cerveaux. Ils infligeaient aux élèves d’humiliantes punitions : balayer la salle, baiser le sol, se mettre à genoux, recevoir la fustigation (voir sur ce point La flagellation chez les Jésuites, mémoires historiques sur l’Orbilianisme (Daragon, 1912). On y verra que ce n’est pas seulement sur le postérieur des Indiens du Paraguay que les Révérends Pères ont exercé leur sadisme). Certes, le fouet existait avant Ignace, qui eut le « mérite » d’instituer un correcteur attitré, le maître ne devant plus opérer lui-même…

Ils exaltaient l’amour-propre et l’orgueil par l’émulation, considérée comme excitatrice de l’esprit. Par des entretiens particuliers, ils se rendaient compte des caractères, des idées, des tendances de chaque élève. Chez eux, le surveillant jouait un rôle primordial ; il était le plus précieux auxiliaire des maîtres.

Ils n’inventèrent pas les Prix, mais ils en généralisèrent l’usage et entourèrent les distributions desdits prix d’une pompe inusitée jusqu’alors.

M. André Schimberg (qui est très favorable aux Jésuites) écrit dans son livre L’Éducation morale dans les Collèges de la Compagnie de Jésus en France sous l’ancien régime (Champion, 1913} :

« Mieux que personne, ils se sont rendus compte de la malléabilité de l’enfance ; mieux que personne aussi, ils ont prétendu en tirer parti, s’adressant à la fois et dans le même temps aux sens, à l’esprit, au cœur, à la volonté. C’est une suggestion — en prenant ce mot dans son acception la plus haute — que les Pères pratiquent sur les âmes en psychologues consommés. »

Leur méthode supprimait l’action des parents, détruisant l’influence et l’amour de la famille. Pas de spontanéité, d’originalité, de personnalité chez leurs élèves, le moindre geste est réglementé ; on fabrique des automates (Dictionnaire de pédagogie, art. Jésuites, p. 902, Gabriel Compayre).

Ils suppriment les distractions au dehors et ne mènent jamais les enfants au théâtre, car il y en avait à l’école (mais quel théâtre !). Le seul spectacle autorisé consistait à conduire les élèves en cortège pour assister à l’exécution des hérétiques !

L’élève était soumis à une surveillance tyrannique ; il n’était jamais livré à lui-même.

« Un surveillant à poste fixe se tenait aux latrines, aux grilles et aux portes principales. Les élèves n’étaient seuls nulle part. » (Schimberg, p. 296).

On connaît les résultats de ce système déprimant. M. Schimberg, bien qu’il soit fervent admirateur des Jésuites, est contraint d’avouer qu’ils sont responsables, en partie, de la frivolité des classes dirigeantes au déclin de l’ancien régime. Un noyau de nobles éclairés eût agi plus intelligemment que cette clique dégénérée par la vie de la Cour, le jeu, le libertinage et dont le cerveau avait été émasculé par la Compagnie. Peut-être la Révolution eût-elle été évitée…

Mgr d’Hulst est du même avis lorsqu’il déclare : « Nous demandons aux établissements religieux de nous envoyer des hommes, ils nous envoient des communiants. » (Cité par Edouard Drumont, Sur le chemin de la vie, p. 192).

Tout était combiné pour atteindre ce résultat. On exaltait la foi et l’on refoulait la raison. Les Jésuites expurgeaient les auteurs profanes — avec exagération — pour les accommoder à leurs principes. Ils remplissaient par des textes de leur invention les coupures qu’ils avaient opérées ! (Schimberg).

« L’interprétation des auteurs, dit le P. Jouveney, doit être faite de telle sorte que, quoique profanes, ils deviennent tous les hérauts du Christ. »

C’est ainsi qu’ils ont dénaturé et démarqué tant de textes.

Voltaire disait n’avoir appris chez les Jésuites « que du latin et des sottises ».

Les Jésuites faisaient effectivement une très grande place au latin, sous prétexte que les protestants se servaient du français comme moyen de propagande. Ils manifestaient un véritable ostracisme contre le français, ostracisme qui cadrait bien avec leurs efforts pour immobiliser la pensée, la figeant dans les formules moyenâgeuses pour l’empêcher d’évoluer.

C’est encore M. Schimberg qui cite l’intéressant document qu’on va lire. Il reproche d’autre part aux Jésuites d’avoir négligé l’enseignement de l’histoire et des sciences positives, au détriment d’une culture littéraire sophistique et superficielle.

« Le règlement du collège de Grenoble (1520) porte : « Les écoliers ne devront parler que la langue latine. Ceux qui seront surpris parlant dans leur langue maternelle seront notés ; deux fois par mois, les notes seront réglées par une amende et ceux qui ne paieront pas l’amende seront fouettés de verges. » Même règlement au collège, séculier d’Autun (1587). Le Ratio jésuite ne permettait l’usage du français dans les récréations que les jours de fête… »

Mouchardage et délation. — Le mouchardage était très usité dans les cloîtres. Les Jésuites le transportèrent dans leurs collèges et en firent un de leurs principes pédagogiques.

Chaque élève avait son Aemulus, chargé de le reprendre, de le surveiller, de le dénoncer (Bochmer).

Dans leurs propres établissements les Jésuites créaient des groupes secrets, tels que les « Congrégations secrètes de Notre-Dame ».

« Ils tâcheront par leurs entretiens de ramener les autres écoliers qu’ils verraient s’éloigner du chemin de la vertu. S’ils ne peuvent les gagner, ils avertiront le régent de leur conduite. » (Chossat, cité par Schimberg, qui déclare que ces procédés étaient conformes aux mœurs du temps.)

Ils étaient conformes, surtout, à la mentalité jésuitique.

Si l’élève avait son Aemulus, attaché à sa personne, le Père Jésuite avait son Socius. Quels que soient son âge, sa dignité, sa réputation, aucun Jésuite ne pouvait rendre de visite, surtout à une femme, sans être accom-