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JUG
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plusieurs remises elle est venue ce jour à l’audience pour être plaidée, que les avocats assistés de leurs avoués (cette assistance réelle et matérielle est devenue une fiction) ont repris leurs conclusions, et que le ministère public a été entendu (autre fiction, car le ministère public, dans la plupart des cas, s’en rapporte même tacitement à la justice et ne conclut que dans les affaires qui par leur importance ou leur difficulté comportent son intervention). L’exposé continue par le point de droit ; il résume les questions que le tribunal avait à trancher. Ce résumé répond à cette préoccupation juridique et légale que le tribunal ne peut sans excès de pouvoir, dépasser les bornes du litige.

L’exposé est alors terminé, il s’appelle les qualités du jugement, par abréviation et parce que son premier soin, on l’a vu, est d’indiquer les noms et les qualités des parties. Ces qualités sont rédigées par l’avoué de la partie qui obtient le jugement en sa faveur. Cet avoué signifie les qualités à son confrère, et en cas de désaccord sur leur teneur, un juge la règle.

Après les qualités, vient le jugement proprement dit, c’est-à-dire le texte de la décision rendue par le tribunal. Cette décision se compose de deux parties bien distinctes : a) les motifs ; b) le dispositif.

Les motifs sont l’ensemble des raisons qui ont déterminé le tribunal. Le dispositif est la sentence rendue par ces motifs.

La partie essentielle, vitale du jugement, c’est le dispositif, mais il est de doctrine et de jurisprudence que les motifs éclairent le dispositif, qu’ils peuvent dissiper l’obscurité d’une disposition, si cette disposition, faute d’être expliquée par les raisons de décider, restait ambiguë.

La troisième partie du jugement n’importe pas moins à sa validité.

Il mentionne la signature du président et du greffier. Cette mention est suivie de la constatation que le jugement a été fait (c’est-à-dire rédigé après délibération dans les termes de la loi et conformément à l’opinion de la pluralité) et prononcé en audience publique. Il indique la composition du tribunal, constate la présence du ministère public et l’assistance du greffier.

Vient ensuite la formule exécutoire qui confère au jugement l’efficacité. Le Président de la République française mande et ordonne à tous huissiers requis de mettre le jugement à exécution, aux procureurs généraux et au procureur d’y tenir la main, à tous commandements et officiers de la force publique d’y tenir la main.

La justice rendue serait plus belle si le jugement s’arrêtait là, mais une mention discrète et insidieuse nous apprend « in fine » que le jugement a dû être enregistré. Suit l’énonciation du droit perçu et qui s’ajoute à tant d’autres droits préalablement exigés et versés. La démocratie a fait de sa justice un luxe de jour en jour plus coûteux. Là aussi toutes ses promesses, tous ses programmes de gratuité sont des propos au vent.

De plus en plus la République se fait fiscale ; ses grands services sociaux ouvrent leurs guichets et ferment leurs couloirs aux citoyens modestes ; et la justice fait payer cher et ses cures et ses coups.



Ce que nous venons de dire sur les jugements s’applique aux jugements en matière civile, et peut, avec quelques modifications, convenir également aux jugements correctionnels.

Dans une poursuite correctionnelle, la procédure suivie à la requête du Parquet ou à la requête du plaignant, par voie de citation directe, ne comporte pas l’assistance légale et obligatoire d’un avoué. Le jugement correctionnel est donc très simplifié ; ses qualités disparaissent en ce sens qu’elles ne forment pas un exposé méthodique destiné à être signifié avant d’être

incorporé dans le corps de l’acte. Le jugement correctionnel mentionna les parties poursuivantes et poursuivies. Dans la pratique, et pour les cas ordinaires, le jugement est prononcé par le président sans écriture préalable, noté par le greffier, rédigé ensuite pour être transcrit sur le registre. A la différence de ce qui se passe au civil, il doit être signé par tous les magistrats qui y ont concouru et non par le président seul.

Il doit mentionner que le président, avant de prononcer la condamnation, a donné lecture au prévenu des articles de loi applicables, il cite ces articles et les termes dans lesquels ils sont conçus.

Il vise les réquisitions du ministère public.



Il y a plusieurs sortes de jugements.

I


Le juge, avant de statuer sur le fond, peut être amené ou convié à trancher des difficultés préalables.

Il peut être nécessaire d’instruire la cause, « pour mettre le procès en état de recevoir jugement définitif ».

Le jugement est dit alors : préparatoire.

Il peut être nécessaire d’ordonner, avant le jugement au fond, et pour y parvenir, une mesure d’instruction, comme par exemple une enquête d’où ressortira ou non une preuve de prescrire une vérification par expertise ou autrement. Le jugement est dit alors : interlocutoire. Ces jugements interlocutoires sont fréquents notamment en matière de divorce.

Il n’est pas toujours facile de distinguer le jugement préparatoire du jugement interlocutoire. Le mieux qu’on puisse dire pour marquer leur différence, c’est que la mesure d’instruction ordonnée par le jugement interlocutoire préjuge le fond, c’est-à-dire que si la preuve est faite, le sens de la décision à intervenir est d’ores et déjà fixé. Cette distinction n’a d’ailleurs qu’une portée théorique.

Les jugements préparatoires et interlocutoires se groupent sous cette dénomination : jugements d’avant dire droit.

« Dire le droit » est une expression qui rappelle en trois mots toute la doctrine romaine et toute l’organisation judiciaire à l’époque de Rome. Les termes impliquent l’étroite association de la décision à rendre avec l’équité, sa subordination rigoureuse au pouvoir dont la justice émane : ce pouvoir c’était, à Rome, l’être social que composait, si compact, si homogène dans son esclavage à la chose publique, le peuple romain.

II

Un jugement est dit par défaut dans deux cas.

Lorsque le défendeur n’a pas constitué un avoué qui « occupera » pour lui dans la procédure.

Lorsque, ayant constitué avoué, il n’a pas conclu.

Le jugement, dans le cas contraire, est contradictoire.

Le jugement de défaut est susceptible d’opposition. Les effets de l’opposition sont d’anéantir le jugement et de replacer les parties, au point de vue de la procédure, dans l’état où elles se trouvaient au lendemain de l’assignation lancée par le demandeur.

L’opposition peut être formée jusqu’au moment où il résulte d’un acte d’exécution que le défendeur a eu connaissance du jugement rendu.

Le jugement est signifié par huissier commis. Si le défendeur a été touché personnellement par la signification, c’est-à-dire si l’huissier a signifié l’acte au défendeur en parlant à sa personne, le délai pour former opposition est d’un mois.

Si le jugement est rendu par défaut faute de conclure, comme il est certain que l’avoué a eu connaissance du jugement à lui signifié et a dû prévenir son client, le délai est modifié. Il est ramené à huit jours à compter du jour de la signification faite à l’avoué.