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KAN
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d’abord une méthode de doute méthodique qui le conduit à des absolus subjectifs — formes de la connaissance — dans le domaine de la raison pure. Puis, en face des apparences d’un objectif insaisissable en soi et connaissable seulement à travers les lois de l’esprit ; par delà la science aléatoire des phénomènes, paralysée par le mystère qui, dans leur nature, enveloppe les objets du monde extérieur et par l’impuissance où nous sommes de saisir hors de nous des substances et des causes, le philosophe accorde, par nécessité d’harmonie morale, — et c’est la tâche de la raison pratique — la réalité et la raison humaine. D’une part il concilie la possession, a priori, des formes de la connaissance et les jugements absolus de la raison avec le déterminisme des choses ; d’autre part, il donne à la morale progressiste du souverain bien, étranglée autrement dans l’espace et dans le temps, deux postulats de garantie, conditionnements idéaux de son système du devoir : l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu. Plus tard, il rapprochera, dans le jugement, les oppositions d’une raison que met en conflit un dualisme de nature et de portée…

Ce criticisme, que guettait en ses conclusions le fatalisme d’un déterminisme absolu ou l’abandon déçu du scepticisme, Kant le porte à l’inéluctabilité de la liberté sur la voie des exigences de la morale : « Nous sommes obligés d’être libres. » Pour Kant — qui identifie ainsi audacieusement, mais non sans artifice, la liberté à la loi morale —, c’est la conscience morale qui, par l’obligation qu’elle nous fait d’obéir à ses commandements, nous met en présence de notre liberté.

Conception ingénieuse et puissante, certes, philosophie active, le kantisme détruit maintes solutions paresseuses d’une métaphysique de révélation. Il établit la suprématie — excessive d’ailleurs — du sujet. Il introduit dans nos mouvements, à côté des pressions toutes externes d’un matérialisme sommaire, un facteur interne aussi déterminant : la volonté ; une volonté dont la physiologie, après Kant, situera peu à peu la nature et l’influence, lorsqu’elle apparentera, à travers leurs formes et leurs manifestations divergentes, les éléments multiples du Cosmos, en fera entrevoir l’unité d’essence… Mais son impératif catégorique, affirmation idéale d’une morale sans base objective et que le dogmatisme ressaisit, aboutit à un compromis entre la raison et la foi qui profite en définitive à la métaphysique ; et nous ne nous dégageons de la transcendance que pour nous confier à l’immanence. Enfin un credo soutient encore le spiritualisme — reliquat épuré des religions d’hier — que les écoles kantistes ont greffé, dans la logique rigoureuse de l’idéalisme, sur la raison pure. — L.

Les principaux ouvrages de Kant sont : La Critique de La Raison pure ; La Critique de la Raison pratique ; La Critique du Jugement ; Fondement de la métaphysique des mœurs ; Dialectique transcendantale ; Principes métaphysiques de la science du droit, etc.

Bibliographie. — Kuno Fischer : Hist. de la Philos. moderne, tomes III et IV ; Hermann Cohen : La Philosophie kantienne de l’expérience ; Benno Herdmann : Le criticisme de Kant ; Hans Vaihinger : Commentaire à la critique de la raison pure ; Boutroux : Études ; Secrétan : Philosophie de la Liberté ; A. Cresson : La morale de Kant ; etc.

KANTISME. Le Kantisme représente un des efforts les plus considérables que l’intelligence humaine ait tenté pour essayer de résoudre sa propre énigme et celle de l’univers par le seul moyen de la raison, en ne s’appuyant uniquement que sur le raisonnement analytique et synthétique sans souci de l’origine objective de ces raisonnements.

Partant de l’idée que dans toute connaissance il y a une part tirée de l’expérience (connaissance empirique, a posteriori) et une autre part, tirée de notre propre faculté de connaître, indépendante de toute expérience (connaissance pure, a priori), Kant suppose qu’il y a en nous une raison pure établissant des jugements absolus en dehors de notre sensibilité, laquelle ne nous apporterait que des connaissances relatives, des expériences qui, bien que répétées indéfiniment, ne nous donneraient aucune certitude universelle. « Si donc on conçoit un jugement comme rigoureusement universel, tel par conséquent qu’on ne puisse croire à la possibilité d’aucune exception, c’est que ce jugement n’est point dérivé de l’expérience, mais valable absolument a priori. »

Tout objet affectant notre sensibilité par la sensation nous donne l’intuition de cet objet, sa représentation ; tout objet d’une intuition empirique est un phénomène : « Ce qui dans le phénomène, correspond à la sensation, je l’appelle matière de ce phénomène, mais ce qui fait que le divers qu’il y a en lui est ordonné suivant certains rapports, je le nomme la forme du phénomène. » « Ainsi, lorsque, dans la représentation d’un corps, je fais abstraction de ce qui en est pensé par l’entendement, comme la substance, la force, la divisibilité, etc., ainsi que de ce qui revient à la sensation, comme l’impénétrabilité, la dureté, la couleur, etc., il me reste encore quelque chose de cette intuition empirique, à savoir l’étendue et la figure. » « Il résultera de cette recherche qu’il y a deux formes pures de l’intuition sensible, comme principe de la connaissance à priori, savoir l’espace et le temps. »

Kant définit alors les concepts de l’espace et du temps : « L’espace n’est pas un concept empirique, dérivé d’expériences extérieures. En effet pour que je puisse rapporter certaines sensations à quelque chose d’extérieur à moi (c’est-à-dire quelque chose placé dans un autre lieu de l’espace que celui où je me trouve) et, de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, et par conséquent comme n’étant pas seulement différentes, mais placées en des lieux différents, il faut que la représentation de l’espace soit déjà posée comme fondement. Cette représentation ne peut être tirée par l’expérience des phénomènes extérieurs : mais cette expérience extérieure n’est elle-même possible qu’au moyen de cette représentation. L’espace est une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions externes. Il est impossible de se représenter jamais qu’il n’y ait pas d’espace, quoiqu’on puisse bien concevoir qu’il n’y ait pas d’objets en lui. » « L’espace n’est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la seule condition subjective de la sensibilité sans laquelle soit possible pour nous une intuition extérieure. » « Nous ne pouvons donc parler d’espace, d’êtres étendus, etc., qu’au point de vue de l’homme ; que si nous sortons de la condition subjective sans laquelle nous ne saurions recevoir d’intuitions extérieures, c’est-à-dire affecté par les objets, la représentation de l’espace ne signifie plus rien. »

« Le temps n’est pas un concept empirique ou qui dérive d’une expérience quelconque. En effet, la simultanéité ou la succession ne tomberaient pas elles-mêmes sous la perception, si la représentation du temps ne lui servait a priori de fondement. Ce n’est que sous cette supposition que nous pouvons nous représenter une chose comme existant en même temps qu’une autre (comme simultanée) ou dans un autre temps (comme la précédant ou lui succédant). »

« Le temps est une représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes les intuitions. On ne saurait supprimer le temps lui-même par rapport aux phénomènes