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seconds au midi. Fondé sur l’usage, le droit coutumier variait de province à province et même de localité à localité. On évaluait à plus de trois cent-soixante le nombre des coutumes, soit générales, soit spéciales : les premières, une soixantaine, régissaient une portion considérable de territoire, les autres se restreignaient parfois à une ville ou même à un village. Ce qui faisait dire à Voltaire que, chez nous, le voyageur changeait de lois presque aussi souvent que de chevaux. Quand le juge ignorait la coutume et que les parties n’étaient pas d’accord à son sujet, on l’établissait, grâce à la déposition de deux turbes ou groupes de dix témoins : avant la rédaction écrite des coutumes, faite à la suite de l’ordonnance de Montil-les-Tours par Charles VII, en 1453. Le droit romain servait de base à la législation, en pays de droit écrit ; mais les usages locaux et la jurisprudence des parlements l’avaient modifié plus ou moins profondément. En Bourgogne, en Franche-Comté, par exemple, il n’avait force de loi que sur les points non réglés par la coutume. Les ordonnances royales, applicables en principe à tout le pays, furent un élément d’uniformité ; néanmoins certaines restèrent sans force, dans l’une ou l’autre région, par suite du refus d’enregistrement des parlements locaux. Au droit ancien succéda le droit révolutionnaire, collection des lois faites par la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire et le Consulat, du moins à ses débuts. Son ère s’ouvre le 17 juin 1789 et se clôt le 15 mars 1803 ; il s’inspirait des principes consacrés par la Révolution et visait à soumettre le pays à une législation uniforme. « Il sera fait un code de lois civiles communes à tout le royaume » dit un article de la Constitution de 1791 ; mais les assemblées révolutionnaires successives échouèrent dans cette entreprise. À côté des lois qu’elles édictèrent et qui furent appliquées sur l’ensemble du territoire, le droit ancien subsista avec son infinie variété pour tous les points non réglementés par les nouveaux législateurs. C’est de la rédaction du code civil, commencée en 1800 et terminée en 1804, que date le début de la législation actuellement appliquée en France. Un arrêté des consuls du 24 thermidor, an VIII, nomma une commission de quatre membres : Tronchet, Portalis, Bigot-Préameneu, Malleville, chargée d’établir les projets primitifs. Projets que l’on modifia d’après les observations de la cour de cassation et des tribunaux d’appel, pour les transformer en lois suivant les formes admises par la Constitution de l’an VIII, alors en vigueur. Rejeté une première fois par le corps législatif, à la suite d’un vœu défavorable du tribunat, le premier projet aboutit néanmoins, grâce à Bonaparte, qui tenait absolument à son adoption. Trente-six lois furent ainsi promulguées successivement, puis, en exécution de la loi du 21 mars 1804, réunies en un seul corps pour former le code civil. Ce code (voir ce mot), était divisé en trois livres : le premier, intitulé Des personnes ; le second, Des biens et des différentes modifications de la propriété ; le troisième, Des différentes manières dont on acquiert la propriété. Il comprenait trente-six titres, en tout, correspondant aux trente-six lois primitivement votées, et chacun se subdivisait en chapitres, sections et paragraphes. Une première édition officielle en fut donnée en 1804 ; une deuxième fut décrétée par la loi du 3 septembre 1807, sous le nom de code Napoléon ; une troisième, en harmonie avec le gouvernement de la royauté, résulta d’une ordonnance de Louis XVIII, du 30 août 1816. Ce fut la dernière édition officielle, celle qui continue d’être en vigueur sous la troisième république. Naturellement le code civil, qui marquait cependant un progrès sur la législation antérieure, a consacré toutes les iniquités dont nous souffrons ; il a garanti les propriétaires contre les plus équitables réclamations, placé la femme en tutelle par rapport au mari, méconnu les droits de l’enfant naturel, assuré le triomphe définitif

du veau d’or. Son complément, le code de procédure civile, fut voté en 1806, et devint obligatoire à partir du 1er janvier 1807 ; le code de commerce, voté en 1807, devint obligatoire l’année suivante. Code pénal et code d’instruction criminelle datent, le second de 1809, et le premier de 1810 ; ils n’entrèrent en vigueur qu’en 1811 ; on y trouve la liste des infractions, les règles relatives à leur poursuite et les pénalités qui les frappent. D’autres codes ont paru depuis : forestier, de justice militaire, rural, du travail et de la prévoyance sociale.

À côté du code il y a place, dans la législation, pour des lois qui le complètent ou qui l’abrogent ; leur nombre est tel qu’un seul individu ne parviendrait pas à les connaître toutes, même en étudiant sa vie entière. On voit combien plaisante la règle qui déclare : « Nul n’est censé ignorer la loi. » Cette dernière consiste dans la déclaration expresse d’une autorité compétente, d’après la Constitution, et qui règle d’une manière générale une série indéfinie de relations juridiques. Autrefois confondus dans les mains d’un monarque absolu, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont, d’ordinaire, confiés à des organes différents chez les peuples modernes. Montesquieu voyait dans cette séparation des pouvoirs une garantie contre l’arbitraire gouvernemental ; nous constatons, hélas, quotidiennement qu’elle n’arrête ni les ministres ni les juges dans leur lutte contre les esprits indépendants. Certaines autorités administratives disposent d’ailleurs du pouvoir réglementaire qui s’appellerait plus exactement pouvoir législatif ; enfin les actes gouvernementaux prennent parfois le titre significatif de décrets-lois. Œuvre de l’Assemblée Nationale, les lois constitutionnelles sont votées et abrogées par elle seule, en France ; le pouvoir législatif ordinaire appartient au Sénat et à la Chambre des députés. Sauf en ce qui concerne les finances, un projet de loi peut être présenté en premier lieu devant l’une ou l’autre Assemblée indifféremment ; mais les deux doivent le voter en termes concordants pour qu’il obtienne force légale. Pour devenir exécutoire la loi doit être promulguée par le président de la République ; il est d’ailleurs obligé de le faire et peut seulement exiger une nouvelle délibération des Chambres. Cette promulgation est portée à la connaissance du public par l’insertion au Journal officiel ou au Bulletin des Lois ; après expiration d’un délai prétendu suffisant pour que ces recueils parviennent aux mains des particuliers, la loi est désormais obligatoire. Elle sera abrogée, soit d’une façon expresse par une déclaration du législateur, soit d’une façon tacite lorsqu’elle s’avère incompatible avec une loi plus récente. Quant au pouvoir réglementaire, il est exercé par le maire dans sa commune, par le préfet dans son département, par le président de la République sur l’ensemble du territoire.

La coutume n’occupe qu’une place très effacée dans notre législation ; elle ne crée de règles nouvelles que dans un domaine restreint, lorsqu’il s’agit de matières où l’on doit tenir compte de la diversité locale, et dans l’interprétation des conventions où les parties ne s’exprimèrent pas clairement. Mais l’ensemble des codes et des lois, décrétés par les gouvernements successifs, constitue un réseau aux mailles si serrées que l’individu est littéralement étouffé par ce monstrueux appareil. Après une période où la liberté fut, sinon bien comprise, du moins très prônée, l’État est redevenu le dieu par excellence, le Souverain bien ; l’individu n’existe qu’engrené, qu’intégré dans lui, son âme particulière ne doit être qu’un reflet de l’âme collective. Non seulement l’État peut faire tout ce qu’il veut, mais il doit tout faire et tout penser ; c’est la société qui nous permet de devenir ce que nous sommes, des êtres instruits et civilisés, des hommes non des animaux, disait en substance Auguste Comte, aussi n’avons-nous à son