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questions d’intérêt dans lesquelles les compagnons et apprentis n’avaient rien à gagner.

Au milieu du xiiie siècle, les menuisiers travaillaient le merrain (chêne ou châtaignier scié sur quartier) tandis que les charpentiers employaient le bois à l’avenant et sur dosses.

Le rabot, en partie disparu depuis les Romains, réapparaît au xive siècle ; jusqu’ici, les bois étaient aplanis à la hache, herminette et au racloir.

Jean Bacin, en 1361, fait trois chéières pour la reine, qui lui sont payées 110 sous.

Au moyen-âge, les portes et fenêtres étaient sans cadres et sans assemblages. Ce n’est que sous Charles V que les menuisiers installent la bibliothèque du roi dans la tour du Louvre et se signalent par des assemblages dans les huisseries, les lambris, les sièges, les pupitres.

En 1370, la hiérarchie est sévère dans les corps d’états. Confréries et Compagnonnage naissant en font une chose à eux ; il en fut de même par les guildes en Allemagne.

Sous Charles VI, en 1371, H. Aubriot, prévôt de Paris, délivre des statuts aux menuisiers. Ceux-ci n’en sont pas enthousiasmés, beaucoup ne veulent pas les accepter, mais le Parlement les confirme et les impose en 1382.

Tous les gens du métier doivent faire partie de la Confrérie religieuse (surtout alimentée par les amendes). Les menuisiers adoptèrent Sainte Anne comme patronne.

Après une requête auprès d’Aubriot, ceux qui font les bancs, bahuts, coffres, tables, portes et fenêtres sont détachés des charpentiers pour former la communauté des huchiers (huchers). En 1382 ils prennent le nom de menuisiers.

C’est alors que le chef-d’œuvre est imposé à l’apprenti pour devenir Compagnon et au Compagnon pour passer Maître.

Avec la Renaissance, vers 1400, le Compagnonnage entre en puissance et s’impose pendant quatre siècles pour exercer le métier.

Le Compagnonnage se sent fort, il s’impose pour travailler. Son engagement terminé avec le Maître (patron), le compagnon est libre d’aller chez un autre. L’apprenti ne peut sortir de sa tutelle, les maîtres sont autorisés à les battre. Les maîtres fournissent tout l’outillage, l’ouvrier fournit ses bras et son initiative.

En France, en Angleterre, en Allemagne, en Lombardie, le chêne était presque seul en usage pour les meubles et les boiseries. Le noyer fut employé pour les lits (moins couramment), dressoirs, fauteuils, bancs, coffres. La sculpture devint distincte de la menuiserie ; dans le gothique fleuri, elle donna naissance à la profession des imagiers qui travaillaient également la pierre et le bois.

Les ouvrages des xive et xve siècle sont déjà des chefs-d’œuvre de menuiserie, impulsés en sciences et en art du dessin gothique, dans lequel vient s’allier celui de la Renaissance, tels la chapelle de Blois, de Saint-Ouen de Rouen, les caisses d’horloges à Beauvais et à Reims. Jehan de Liège, au xive siècle, fait les portes de la cathédrale de Dijon.

La généralisation de l’art et des principes du travail prend un caractère international surtout à la fin du gothique. Les ouvriers commencent à voyager.

Au commencement du xve siècle (1405), les menuisiers exécutèrent le coffre du premier coche qui transporta pour leur mariage Isabeau de Bavière et Charles VI.

La bannière était promenée les jours de fêtes et dans les cérémonies. Les armoiries de la bannière sont un blason d’azur portant une varlope d’or, un ciseau à manche d’or et un maillet d’or.

En 1471, Louis XI délivre aux huchers de nouveaux statuts.

C’est en 1486 que menuisier est appliqué sans autre épithète.

Le musée de Cluny possède du xve siècle le bois d’une des premières varlopes.

La menuiserie se perfectionne dans la Renaissance par l’embellissement des châteaux, des hôtels particuliers, des églises ; les beaux meubles massifs sortent des mains du menuisier.

Vers 1550 quelques compagnons menuisiers veulent se rendre indépendants, ils se réfugient dans le faubourg Saint-Antoine et y travaillent en association avec les charpentiers.

Sous Charles IX, le taux des salaires est établi chaque année, il est de dix sous tournois par jour en 1560.

En 1580, les statuts sont révisés.

En 1640, l’ouvrier hucher entrant chez un nouveau maître doit payer quatre sous à la caisse de la Confrérie et à la bannière du métier.

Sous Louis XIII, les portes cochères sont des pièces architecturales avec assemblages et embrèvements.

Sous Louis XIV, d’autres nouveaux statuts sont promulgués aux menuisiers concernant surtout les maîtres ; nul ne peut l’être s’il n’est Français ou naturalisé ; ordonne que le fils du patron doit produire un chef-d’œuvre ; de même l’apprenti après six ans d’apprentissage. Nul ne peut travailler s’il n’est reçu compagnon ou maître.

L’entrée à Paris d’un compagnon est fixée à cinq sous pour la communauté. Le menuisier ne doit exécuter que portes, fenêtres, lambris, stalles, pupitres d’autels, etc.

Dès 1650, les nouveaux maîtres doivent être catholiques, apostoliques romains.

En 1660, la Confrérie est étroitement liée à la Corporation.

On ne travaille ni les dimanches et jours de fêtes, ni les samedis et veilles de fêtes après vêpres, ni la nuit.

Les valets (compagnons) se louent à la semaine, au mois ou à l’année ; l’embauche se pratique au carrefour de la rue Saint-Antoine, carrefour des chars ; ils prêtent serment d’obéissance au patron et aux règlements.

La révocation de l’édit de Nantes, en 1685, fait retirer la Maîtrise aux protestants, qui s’exilent en Angleterre, en Allemagne, en Hollande avec toute leur science qu’ils y développent.

Pour payer les frais énormes des guerres, les prix des maîtrises sont majorés en 1704. Les caisses corporatives s’appauvrissent en créant une irritation générale des ouvriers, ce qui a comme résultat pour les menuisiers l’interdiction sous aucun prétexte de se réunir.

En 1744, sous Louis XV est ordonnée la Communauté des Maîtres Menuisiers et Ébénistes. La Confrérie de Sainte-Anne est consacrée aux menuisiers dans l’église des Carmes des Billettes, qui est ensuite abandonnée pour Sainte-Marguerite. Tous les membres de la corporation sont tenus d’assister aux offices.

Le Maître ne peut avoir qu’un atelier.

Par la force du Compagnonnage et de la religion, dont dépend la corporation des menuisiers, le xviiie siècle arrête quelque peu l’évolution scientifique et l’esprit d’indépendance des ouvriers.

Ce n’est qu’en janvier 1776 que le ministre Turgot supprime les Corporations et accorde à l’ouvrier la liberté de travailler pour son compte sans brevet ni redevances. Naturellement les maîtres s’insurgent et sentent leurs privilèges compromis.

En août, Turgot est destitué et les jurandes et les maîtrises sont rétablies. Néanmoins, la vieille institution a reçu du plomb dans l’aile, on la sent décliner un peu chaque jour par la volonté d’émancipation que manifestent les menuisiers et d’autres corps de métiers.