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1793

que le Docteur Toulouse définit « l’organisation rationnelle, physique et morale, de la vie ». Blagologie, que G. Saint-René Taillandier a employé le premier en l’expliquant ainsi : « Dans les sciences morales, bien raisonner ne sert de rien si l’on ne vérifie constamment, par l’observation attentive des faits concrets, les résultats où le raisonnement vous amène. Hors de cette vérification constante, pas de salut pour les sciences morales ; elles ne seraient plus que blagologie. » Avec une plus grande exactitude, ce mot peut être appliqué à la besogne des « blagueurs » politiciens ; c’est là qu’il trouvera son plus parfait emploi. Citons encore : muflisme, plutarquisme, tripatouillage, en renvoyant à ces mots.

Nous avons dit que les anarchistes qui écrivent ont trop tendance à subir l’influence de la détestable manie du néologisme. Aussi, avons-nous cru devoir insister sur ce sujet dans cette Encyclopédie, dont l’un des buts est d’apprendre à ceux dont l’instruction est restée rudimentaire, le sens exact et l’emploi précis des mots pour qu’ils sachent parler clair.

De tout temps, des Lycophron ont passé pour des génies parce que personne ne comprenait rien à ce qu’ils écrivaient. Ces farceurs n’ont pas cessé de régner sur la sottise publique. Les idées troubles et le langage obscur peuvent être des jeux de dilettanti ; ils sont surtout des ruses du mensonge social et de l’exploitation humaine. Plus que personne, les anarchistes doivent s’en détourner, pour eux-mêmes qui veulent voir clair, pour les autres qu’ils veulent éclairer. Plus que personne ils doivent penser et parler nettement, c’est-à-dire dans un langage qui sera compris de tous. Le langage tortueux est celui des intentions tortueuses ; c’est celui des gens qui ne se montrent pas plus qu’ils n’agissent an grand jour. Il est la toile où araignée prend ses victimes dans les coins propices aux mauvais coups.

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement »

a dit Boileau. S’exprimer clairement, pour être compris par tous, est d’abord une forme de la politesse que nous devons à ceux à qui nous nous adressons, comme c’est une politesse de ne pas parler devant un étranger dans une langue qu’il ne connaît pas. C’est ensuite la preuve de la netteté de nos idées, de la valeur de nos démonstrations, de la sincérité de nos convictions. C’est enfin l’affirmation de notre volonté de n’être ni des dupes, ni des dupeur. — Edouard Rothen.


NÉPOTISME n. m. (du latin : nepos, neveu). Ce mot nous vient de l’Église catholique. Les papes avaient pris l’habitude de mettre à la tête de l’administration de l’Église leurs neveux — nepos — ou leurs illégitimes rejetons, ou leurs parents. Par extension, le terme désigne ce qui est devenu une coutume universelle — dans le temps et dans l’espace — dans le monde des gouvernants. Dès qu’un personnage détient l’autorité, suprême ou partielle, il en profite pour caser aux bonnes places ses parents, ses fidèles, ses amis et les amis des parents ou amis. C’est ce qu’on appelle le népotisme.

Les papes n’ont pas été les premiers, ni les derniers, à pratiquer le népotisme. On peut dire que cette pratique est aussi vieille que l’autorité elle-même et qu’elle durera autant qu’elle. Il est tout à fait naturel, humain et logique que quiconque détenant tout ou partie de la puissance, morale, politique ou économique, en profite le plus largement possible, tout le premier, et qu’il en fasse bénéficier les siens ensuite.

On dit souvent aux anarchistes : « Pour que votre société libertaire puisse vivre, il faudrait que tous les humains soient parfaits, qu’ils n’aient ni défauts, ni vices, ni ambition. » Ce qui est stupide d’ailleurs, puis-

que l’équilibre et l’harmonie doivent naturellement s’établir par la force des choses, lorsque ces forces sont à égalité de puissance. Nous pourrions riposter, avec plus de justesse : « pour qu’une société, basée sur l’autorité, soit bonne, il faudrait que les chefs n’aient ni défauts, ni vices, ni ambition, qu’ils soient parfaits, qu’ils ne soient plus des hommes comme vous et moi ; autrement, ils useront et abuseront de l’autorité que vous leur donnez, à leur avantage, et contre le vôtre. »

La pratique, si courante et si universelle du népotisme, vient nous démontrer que, non seulement l’autorité est néfaste parce qu’elle profite surtout à qui l’exerce, mais qu’elle est condamnable également parce que le chef en fait partager les privilèges et bénéfices à ses amis et parents. Ce qui, somme toute, est naturel. Celui qui parvient au sommet de la hiérarchie sociale ne peut s’y hisser, et s’y maintenir, qu’en ayant des appuis. Il lui faut une cour pour l’aduler, des lieutenants pour l’aider et des parasites gravitant autour de lui, et ayant intérêt à la continuation de sa puissance. Les papes et autres chefs de religion ont pratiqué le népotisme. Les rois, empereurs, et autres monarques en ont fait un rouage de leur pouvoir. Les présidents de république et les ministres démocrates se maintiennent grâce au népotisme. Ils font tomber les sinécures grassement rétribuées, les commandes et les subventions, les pensions et les décorations sur les personnes de leur entourage. S’ils omettaient de faire cela, ils se créeraient des ennemis dans leur milieu, dans leur famille. Critiques, attaques et déplaisantes vérités pourraient surgir de leur entourage, et on évite cela il tout prix. Les sénateurs, députés, conseillers généraux ou municipaux pratiquent le népotisme, Leurs parents, amis et agents électoraux reçoivent leur part de la manne du pouvoir : petits profits, démarches, procès enlevés, décorations, etc… Le politicien qui veut se pousser au pouvoir a besoin d’une bande qui l’entoure, qui lie ses intérêts aux siens propres et le pousse là où il veut aller, toujours plus haut. Le patron, le directeur d’usine, le contre-maître, toute personne qui commande, en grand ou en petit, met en usage le népotisme pour les mêmes raisons.

Il y a les familles de banquiers, les familles de gros magnats, les familles de directeurs et administrateurs de société, les familles et les bandes d’amis.

Voyez les sociétés, même ouvrières, qui prospèrent dans les méthodes hiérarchiques : dès qu’elles ont à leur tête un parvenu, le fils, la fille, le neveu, le cousin, l’ami, se faufilent dans les bonnes places. La hiérarchie porte en son sein le népotisme aussi inexorablement que le nuage porte la pluie.

Des esprits critiques ont déploré le népotisme, lutté contre lui et demandé sa disparition de nos mœurs.

Peine perdue, car le népotisme est une des faces de l’autorité. Il est né avec elle, et il mourra avec elle. — Georges Bastien.


NEUTRALITÉ n. f. (neuter, ni l’un ni l’autre). On déclare neutre celui qui, dans un conflit entre personnes, entre nations, entre idées reste indifférent et ne prend point part à la lutte. Le problème de la neutralité scolaire est l’un des plus âprement discutés il notre époque ; nous laisserons à d’autres le soin d’en parler. C’est d’un point de vue général seulement et philosophique que nous traiterons de la neutralité.

Qu’elle soit politique, religieuse, philosophique, scientifique même, la neutralité peut résulter de causes multiples. La crainte qui paralyse, le désir de ne mécontenter personne en déterminent beaucoup à ne point manifester, en pratique, leurs secrètes préférences. Mais, dans ce cas, il ne s’agit que d’une neutralité extérieure, d’une neutralité dans le domaine de l’action, nullement d’une neutralité intime et qui reste vraie dans le plan mental. Chez les malheureux que des