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NOE
1803

d’un peu près. Déjà, au début de l’époque carolingienne, se dessinent, dans la société franque, les changements qui aboutiront à la féodalité. Ce régime, implanté fortement dès le xe siècle, s’épanouit pleinement au xiie. Les hommes libres deviennent des vassaux, liés à un personnage plus élevé, le suzerain ; les terres se transforment en fiefs, cessant d’être la propriété complète de leurs possesseurs. Au sommet de la hiérarchie féodale, qui comporte plusieurs degrés, se place le souverain ; il reçoit de grands honneurs, mais ne jouit d’une autorité sérieuse que sur ses domaines personnels. Suzerains et vassaux forment la noblesse : des grands feudataires de la couronne, elle descend jusqu’aux châtelains et aux vavasseurs, titulaires de minuscules seigneuries. Comme la possession des fiefs, la qualité de noble est héréditaire. D’où la formation d’une caste orgueilleuse et pleine de mépris pour quiconque ne sort pas de son sein. Guerre, chasse, tournois, festins constituent les occupations essentielles du seigneur ; il a des serfs qui travaillent pour subvenir à ses fantaisies. Au premier le droit héréditaire d’opprimer ses administrés « à tort ou à droit, sans en rendre compte à d’autres qu’à Dieu », selon l’expression d’un code d’alors ; aux seconds le devoir, également héréditaire, d’obéir au maître, s’ils veulent éviter d’effroyables tortures dans ce monde et l’enfer dans l’autre. Nombre de seigneurs sont, en outre, des brigands et des bêtes de proie ; ils détroussent les voyageurs, pillent les marchés et les terres sans défense. Certains font crever les yeux, couper les pieds ou les mains de leurs prisonniers ; avec une joie sadique, ils arrachent les ongles et les seins des femmes. Dans leurs châteaux forts, ils se livrent à de monstrueuses orgies. Parmi les droits singuliers que plusieurs possèdent, signalons celui de coucher avec la mariée pendant la nuit des noces. C’est en vain que les historiens catholiques ont voulu nier l’existence de ce droit ; incontestablement il exista dans maintes régions, et les seigneurs ecclésiastiques ne furent pas ceux qui le revendiquèrent avec le moins d’âpreté.

Vers la fin du xiiie siècle, l’édifice féodal se détraque. Les royautés modernes se forment et, après des siècles de résistance plus ou moins ouverte, la noblesse se résigne à n’être que la servante des souverains. Richelieu doit encore lutter contre les grands, mais sous Louis XIV, ils sont complètement domestiqués. Gavés d’honneurs et de pensions, les nobles détiennent les hauts emplois de cour, les gouvernements des provinces, les ambassades, les commandements aux armées ; ils ont perdu toute autorité politique. Encore les faveurs ne vont-elles qu’à ceux qui vivent près du roi, aux courtisans. Pour les descendants des fiers seigneurs du moyen âge, c’est le comble de l’honneur, d’offrir sa chemise à Louis XIV, de lui passer sa culotte, de le servir à table, de porter son bougeoir à l’heure du coucher. A Versailles, on trouve des gentilshommes panetiers, échansons, écuyers tranchants, etc. ; les chefs de service sont même de la plus haute noblesse. Et la plupart remplissent réellement leur charge ; Condé, premier prince du sang et chef des services de la bouche, apporte les plats, fait office de larbin. Quiconque ne vient pas à la cour, n’a rien à attendre du souverain. Vivre à l’armée, sur ses vaisseaux, dans sa domesticité ou du moins à Versailles, voilà les seules occupations de la noblesse. Pour elle, l’oisiveté devient la première des vertus ; sous peine de déroger, c’est-à-dire d’être exclu de son ordre, un noble ne peut exercer aucune profession lucrative, sauf celles qui concernent le commerce de la mer ou l’art du verrier. Pour avoir engraissé et revendu des bœufs, des gentilshommes campagnards sont dégradés. Ajoutons que haute noblesse et gentilshommes campagnards, noblesse de robe et noblesse d’épée se méprisent ou se jalousent ; les questions de préséance, d’étiquette prennent une

importance démesurée. Devenue parasite et sans influence, la noblesse sera durement frappée par la Révolution française.

Dans la nuit du 4 août 1789, les ducs de Noailles et d’Aiguillon, suivis par la plupart des membres de leur ordre, renoncent à leurs privilèges, proclament l’égalité de tous devant l’impôt, se résignent à redevenir de simples citoyens. On a voulu y voir un acte de générosité ; de récentes recherches démontrent qu’il n’y eut là qu’une manœuvre habile, doublée d’une comédie. Le sacrifice demandé était plus apparent que réel, car il s’agissait seulement du rachat des droits féodaux. Les nobles continueraient de percevoir leurs rentes ou leur équivalent. « Ils ne perdraient rien ou presque à l’opération, écrit Mathiez, et ils y gagneraient de reconquérir leur popularité auprès des massés paysannes. » Ayant compris, de même que le clergé, ce qu’on pouvait attendre de cette savante manœuvre, « ils se livrèrent à l’enthousiasme ». Mais c’est en vain qu’ils crurent s’en tirer à si bon compte. L’abolition de la noblesse fut inscrite dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Il n’y a plus ni noblesse, ni pairie, ni distinctions héréditaires, ni distinctions d’ordre. Il n’y a plus ni vénalité, ni hérédité d’aucun office publique. Il n’y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Français. » Sous l’Empire, puis sous la Restauration, la noblesse regagnera de son prestige et obtiendra des honneurs ; jamais elle ne rentrera en possession de ses privilèges d’antan. Car une nouvelle noblesse s’était substituée à l’ancienne, une noblesse recrutée, non d’après la naissance, mais d’après la fortune. Confisquée à leur profit par les bourgeois, la Révolution ne donna finalement satisfaction qu’aux riches et aux propriétaires. Pendant tout le siècle dernier, le pouvoir fut aux mains d’une o1igarchie financière ; de nos jours rien n’a changé. Pour être électeur, il fallait payer 300 francs de contributions directes, et pour être éligible 1.000 francs, d’après la loi de 1817 ; ce qui réduisait à 91.000 le nombre des électeurs pour la France entière. Après la révolution de 1830, on exigea encore 200 francs de contributions directes pour être électeur et 500 francs pour être éligible ; le pays légal se composa de 200.000 Français, pas davantage. Depuis que fonctionne le suffrage universel, la féodalité d’argent n’a rien perdu de sa force ; grâce à la presse, au clergé, à la haute administration, elle fait élire des Chambres à’sa dévotion et trompe, sans vergogne, l’électeur. Elle installe au pouvoir ses hommes de paille, achète les parlementaires, les juges, les fonctionnaires importants. Dans notre république des camarades, que le parti qui triomphe soit de gauche ou de droite, les banquiers commandent toujours en dernier ressort. Ducs, marquis, comtes sont remplacés par les princes de la finance ; et les barons, les simples châtelains ont fait place aux possesseurs de coffres-forts garnis plus ou moins abondamment. A notre époque, les titres de rente sont préférés aux titres de noblesse. Pour mieux tromper les naïfs, quelques politiciens demandent qu’on spiritualise l’or en accordant une place au mérite scolaire. Mais personne ne parle en faveur de ce qui fait la vraie dignité de l’homme : sa pitié pour les humbles, l’énergie de sa volonté, la puissance créatrice de son cerveau. L. Barbedette.


NOËL n. m. (du latin : natalis, natal). Pareille aux fruits trop mûrs dont la substance interne a disparu, rongée par des vers innombrables, l’Église contemporaine ne ressemble qu’en apparence à celle des premiers chrétiens. Aux yeux les moins prévenus, Son opportunisme éclate dès qu’on réfléchit tant soit peu : aux jeûnes elle a substitué les quêtes, à la prière l’action électorale, et, dans ses patronages, le sport prime la