Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 2.djvu/250

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le fût de si tôt, son dîner étant resté in statu quo, ainsi que le charbon qui devoit servir à l’apprêter. Ce contre-temps, capable d’émouvoir la bile d’un philosophe, ne lui arracha pas le moindre murmure. Il se contenta d’adresser un léger reproche à l’hôtesse, et lui dit que puisqu’il étoit si difficile de faire réchauffer le morceau de bœuf, il le mangeroit froid. L’hôtesse, soit honte, soit compassion, commença par gronder ses gens de leur négligence à exécuter des ordres qu’elle n’avoit pas donnés : puis elle commanda au garçon d’aller mettre un couvert au numéro du soleil, et allumant un fourneau, elle eut bientôt préparé le modeste repas de son hôte.

La chambre où on le servit, une des plus sombres de l’auberge, étoit sans doute nommée le soleil par antiphrase, comme lucus a non lucendo[1]. Le soleil, en effet, n’y avoit jamais lui. La faim ne permit pas d’abord à Jones de se montrer difficile ; mais quand il eut satisfait son appétit, il se plaignit qu’on l’eût fait dîner dans un cachot, et ordonna au garçon de lui porter une bouteille de vin dans un endroit plus décent.

  1. Lucus, bois sacré, ainsi appelé, selon quelques auteurs, à cause de son épaisseur qui empêchoit le soleil d’y luire.