Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lias ; de vieux célibataires caressaient avec un peigne leur barbe teinte ; il y avait des Anglais, des Russes, des gens de l’Amérique du Sud, trois Orientaux en tarbouch. Des lorettes, des grisettes et des filles étaient venues là, espérant trouver un protecteur, un amoureux, une pièce d’or, ou simplement pour le plaisir de la danse ; et leurs robes à tunique vert d’eau, bleu cerise, ou violette, passaient, s’agitaient entre les ébéniers et les lilas. Presque tous les hommes portaient des étoffes à carreaux, quelques-uns des pantalons blancs, malgré la fraîcheur du soir. On allumait les becs de gaz.

Hussonnet, par ses relations avec les journaux de modes et les petits théâtres, connaissait beaucoup de femmes ; il leur envoyait des baisers par le bout des doigts, et, de temps à autre, quittant ses amis, allait causer avec elles.

Deslauriers fut jaloux de ces allures. Il aborda cyniquement une grande blonde, vêtue de nankin. Après l’avoir considéré d’un air maussade, elle dit : « Non ! pas de confiance, mon bonhomme ! » et tourna les talons.

Il recommença près d’une grosse brune, qui était folle sans doute, car elle bondit dès le premier mot, en le menaçant, s’il continuait, d’appeler les sergents de ville. Deslauriers s’efforça de rire ; puis, découvrant une petite femme assise à l’écart sous un réverbère, il lui proposa une contredanse.

Les musiciens, juchés sur l’estrade, dans des postures de singe, raclaient et soufflaient, impétueusement. Le chef d’orchestre, debout, battait la mesure d’une façon automatique. On était