Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/262

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— Parfaitement !

Elle fixa sur lui ses grands yeux bleus, pour une dernière prière sans doute, puis croisa les deux bouts de son tartan, attendit une minute encore et s’en alla.

— Tu devrais la rappeler, dit Frédéric.

— Allons donc !

Et, comme il avait besoin de sortir, Deslauriers passa dans sa cuisine, qui était son cabinet de toilette. Il y avait sur la dalle, près d’une paire de bottes, les débris d’un maigre déjeuner, et un matelas avec une couverture était roulé par terre dans un coin.

— Ceci te démontre, dit-il, que je reçois peu de marquises ! On s’en passe aisément, va ! et des autres aussi. Celles qui ne coûtent rien prennent votre temps ; c’est de l’argent sous une autre forme ; or je ne suis pas riche ! Et puis elles sont toutes si bêtes ! si bêtes ! Est-ce que tu peux causer avec une femme, toi ?

Ils se séparèrent à l’angle du pont Neuf.

— Ainsi, c’est convenu ! tu m’apporteras la chose demain, dès que tu l’auras.

— Convenu ! dit Frédéric.

Le lendemain à son réveil, il reçut par la poste un bon de quinze mille francs sur la Banque.

Ce chiffon de papier lui représenta quinze gros sacs d’argent ; et il se dit qu’avec une somme pareille, il pourrait : d’abord garder sa voiture pendant trois ans, au lieu de la vendre comme il y serait forcé prochainement, ou s’acheter deux belles armures damasquinées qu’il avait vues sur le quai Voltaire, puis quantité de choses encore, des peintures, des livres et combien de bouquets