Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/50

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Qu’est-ce qui passe dans l’air maintenant, entre les nuages et les oiseaux, dans la région pure où vient mourir la voix des cloches, et où s’évaporent les parfums de la terre ? C’est la nouvelle que la rente baisse, que les suifs remontent ou que la reine d’Angleterre est accouchée.

Quelle drôle de vie que celle de l’homme qui reste là dans cette petite cabane à faire mouvoir ces deux perches et à tirer sur ces ficelles, rouage inintelligent d’une machine muette pour lui ! Il peut mourir sans connaître un seul des événements qu’il a appris, un seul mot de tous ceux qu’il aura dits. Le but ? le but ? le sens ? qui le sait ? Est-ce que le matelot s’inquiète de la terre où le pousse la voile qu’il déploie, le facteur des lettres qu’il porte, l’imprimeur du livre qu’il imprime, le soldat de la cause pour laquelle il tue et se fait tuer ? Un peu plus, un peu moins, ne sommes-nous pas tous comme ce brave homme, parlant des mots qu’on nous a appris et que nous apprenons sans les comprendre. Espacés en ligne et se regardant à travers les abîmes qui les séparent, les siècles se transmettent ainsi de l’un à l’autre l’éternelle énigme qui leur vient de loin pour aller loin, ils gesticulent, ils remuent dans le brouillard, et ceux qui, postés sur des sommets, les font se mouvoir n’en savent pas plus long que les pauvres diables d’en bas qui lèvent la tête pour tâcher d’y deviner quelque chose.

Où en étais-je donc ? à Nantes, je crois, à la cathédrale. Elle est dans le goût anglais du xve siècle