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DE GUSTAVE FLAUBERT.

c’est l’anatomie du style, savoir comment une phrase se membre et par où elle s’attache. On étudie sur des mannequins, sur des traductions, d’après des professeurs, des imbéciles incapables de tenir l’instrument de la science qu’ils enseignent, une plume, je veux dire, et la vie manque ! l’amour ! l’amour, ce qui ne se donne pas, le secret du bon Dieu, l’âme, sans quoi rien ne se comprend.

Quand j’aurai fini cela — ce sera un travail d’une grande année, pas plus (mais au moins je me serai vengé littérairement, comme dans le Dictionnaire des Idées reçues je me vengerai moralement) — quand j’aurai fini cela (après la Bovary et l’Anubis toutefois), j’entrerai sans doute dans une phase nouvelle et il me tarde d’y être. Moi qui écris si lentement, je me ronge de plans. Je veux faire deux ou trois longs bouquins épiques, des romans dans un milieu grandiose où l’action soit forcément féconde et les détails riches d’eux-mêmes, luxueux et tragiques tout à la fois, des livres à grandes murailles et peintes du haut en bas.

Il y avait dans la Revue de Paris (fragment de Michelet sur Danton) un jugement sur Robespierre qui m’a plu. Il le signale comme étant, de sa personne, un gouvernement ; et c’est pour cela que tous les gouvernementomanes républicains l’ont aimé. La médiocrité chérit la Règle ; moi je la hais. Je me sens contre elle et contre toute restriction, corporation, caste, hiérarchie, niveau, troupeau, une exécration qui m’emplit l’âme, et c’est par ce côté-là peut-être que je comprends le martyre.

Adieu, belle ex-démocrate. Mille baisers. À toi.

Ton G.