Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/209

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sais bien pourquoi je suis ici. Je n’en pouvais plus… je voulais vous le dire l’autre jour, quand vous m’avez lu l’Invitation au voyage… mais ce n’était point encore au point où le désespoir s’en mêle… Ce soir, il a fallu que je m’en aille… Dieu a voulu que je vous aie trouvé… Ah ! Jacques, l’invitation au voyage, on dirait que c’est ce soir.

— “ Mon enfant, ma sœur ! ” dit Jacques, en la serrant contre lui.

— Mais des pays qui nous ressemblent Jacques, il n’y en a pas, et c’est peut-être pour cela que quelque chose nous poussait tout à l’heure…

— Au suicide, dit-il fortement.

— Taisez-vous !

— Si, au suicide ; et nous le savons bien, tous les deux. Et pourquoi. Seigneur ? Parce qu’on a souffert, grandement, un soir, de choses qui arrivent à tout le monde.

— Taisez-vous !

— À tout le monde, Juliette. Seulement, tout le monde ne s’en affecte pas… Il y a des gens qui savent sourire.

— Oh ! pas moi…

— Ce sont les sages, Juliette. Nous autres…

Il termina d’un geste vers les étoiles, qui embrassait bien de l’idéal.

— Ah ! et puis si nous sommes fous, reprit-il, allons jusqu’au bout de notre folie. Et vivons d’abord.

— Je n’ai pas le courage.

— Il est inutile d’agir. Laissons-nous vivre, comme deux pauvres convalescents qui se consolent l’un l’autre. Il tombe des étoiles et de cette lune extraordinaire un conseil muet et doux, qui vous pénètre comme un fluide. Minute à minute, le temps s’écoule par années, emportant à chaque flot un lambeau des images tristes. Je ne sais pas si demain nous ne retrouverons pas ce passé, immédiat de-