Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
[1381]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

À celle fête et solennité, qui fut le jour Notre-Dame en mie août à Wesmoustier, après dîner ot grands paroles et grosses du duc de Lancastre au comte de Northonbrelande ; et lui dit : « Henry de Percy, je ne cuidois mie que vous fussiez si grand en Angleterre que vous osissiez faire fermer ni clorre les cités, les villes et les chastels à l’encontre du duc de Lancastre. » Le comte s’humilia en parlant et dit : « Monseigneur, je ne dénie pas ce que le chevalier en fit, car je ne pourrois ; et ens ou commandement que j’avois du roi monseigneur que véez-là, il m’étoit très étroitement enjoint et commandé, sur mon honneur et sur ma vie, je ne laissasse ni fisse laisser nul homme, seigneurs ni autres, ens ès cités, villes et chastels de Northonbrelande, si il n’étoit héritier des lieux. Et le roi, s’il lui plaît, et les seigneurs de son conseil me en peuvent excuser ; car bien savoient que vous étiez en Escosse : si vous dussent bien avoir réservé. » — « Comment, répondit le duc, comment, comte de Northonbrelande, dites-vous que il convient réservation sur moi qui suis oncle du roi, et qui ai à garder mon héritage autant bien et mieux que nul des autres n’a après le roi, en Angleterre, et qui, pour les besognes du royaume, étois allé en ce voyage ? Celle réponse ne vous peut excuser que vous ne fissiez mal et contre mon honneur grandement ; et donnez exemple de soupçon de moi que je voulois faire ou avois fait aucune trahison en Escosse, quand à mon retour on me clooit les villes de monseigneur, et celle principalement où mes pourvéances étoient. Pourquoi je dis que vous vous acquittâtes mal ; et pour le blâme que vous m’en faites, et pour m’en purger en la présence de monseigneur que vez-là, je en jette mon gage ; or le levez sus. » Adonc saillit avant le roi et dit : « Bel oncle de Lancastre, tout ce qui en fut fait je l’avoue, et retenez votre gage et votre parole, car je excuse le comte de Northonbrelande, et parole pour lui : que voirement et destroitement nous lui avons enjoint et commandé que il tînt clos portes et marches et les frontières d’Escosse. Et vous savez que notre royaume a été en si grand péril et en si grand trouble que, quand vous étiez par delà, il ne nous pouvoit pas de tout souvenir. Ce fut la faute du clerc qui escripsit les lettres, et la négligence de notre conseil ; car, au voir dire, vous dussiez bien être réservé. Si vous prie et vueil que vous mettez ces mautalens jus ; car je m’en charge et en décharge le comte de Northonbrelande. » Adonc s’agenouillèrent devant le duc, le comte d’Arondel, le comte de Sallebery, le comte d’Asquesuffort, le comte de Staffort et le comte de Devensière et lui dirent : « Monseigneur, vous oyez comment amiablement et loyalement le roi en parole, et vous devez bien descendre à ce que il dit et fait. » Le duc de Lancastre, qui étoit enflammé de ire, se tut, et puis pensa un petit, et fit les barons lever en eux remerciant, et dit : « Beaux seigneurs, il n’en y a nul de vous, si la cause pareille lui fût advenue, ainsi comme à moi, qui n’en fût courroucé ; et pour ce que le roi le veut, c’est droit que je le veuille. » Là fut faite la paix du duc de Lancastre et du comte de Northonbrelande, par le moyen du roi d’Angleterre et des barons du pays, qui en prièrent.

Au second jour après, le roi d’Angleterre alla en son voyage, ainsi que dessus est dit, ens ès contrées dessus dites ; et chevauchoit bien à cinq cents lances et autant d’archers qui le suivoient sur côtière. En ce voyage fit le roi plusieurs justices des mauvais qui contre lui s’étoient élevés et rebellés. Nous nous souffrirons à parler du roi d’Angleterre, et parlerons du comte de Cantebruge son oncle, et conterons comment il vint en Portingal et de la infortune qu’une partie de ses gens eurent sur mer.


CHAPITRE CXX.


Comment le comte de Cantebruge arriva à grand travail et son armée, par mer, au port de Lusebonne.


Vous avez bien ci-dessus ouï recorder comment le comte de Cantebruge gissoit au hâvre de Pleumoude, à cinq cents hommes d’armes et à cinq cents archers, attendant vent pour aller au royaume de Portingal. Tant furent-ils là que vent leur vint ; et désancrèrent et se partirent tous d’une flotte, et singlèrent tout au plus droit que ils purent vers Lusebonne, où ils tendoient à aller ; et costièrent ce premier jour Angleterre et Cornouaille, et le second jour aussi. Au tiers jour, à l’entrer en la haute mer d’Espaigne, ils orent une dure fortune et contraire, et tant que tous leurs vaisseaux furent épars. Et furent tous en très grand péril et aventure de mort ; et par espécial le vaissel où les Gascongs