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LIVRE II.

ensemble, France et Espaigne, par grand’conjonction d’amour, que il fût, le temps d’été, conforté de bonnes gens d’armes ; par quoi il pût de force et de fait résister contre ses ennemis. Le conseil du roi s’assentoit bien à tout ce, et véoit clairement que le roi d’Espaigne requéroit raison. Si fut ordonné en France de donner grâce et congé à toutes manières de gens d’armes, chevaliers et écuyers qui avancer se vouloient ; et leur faisoit le roi de France le premier prêt pour passer outre. Si me semble que messire Olivier Du Glayquin, frère du connétable de France messire Bertrand qui fut, se ordonna pour aller ce chemin sur le printemps. Ainsi firent plusieurs chevaliers et écuyers de Bretagne, de France, de Beauce, de Picardie, d’Anjou, de Berry, de Blois et du Maine. Et passoient par routes, pour mieux aller à leur aise ; et avoient passage ouvert parmi le royaume d’Arragon ; et trouvoient pourvéances toutes prêtes, parmi leurs deniers payans ; mais sachez que ils ne payoient pas tout ce que ils prenoient, quand ils étoient au plat pays ; donc les povres gens le comparoient.


CHAPITRE CXXXIII.


Comment le roi Richard d’Angleterre prit à femme madame Anne, sœur au roi Charles d’Allemagne ; et comment elle fut amenée par Brabant et Flandre jusques à Calais.


Vous savez comment le roi Richard d’Angleterre avoit eu un an et plus traité devers le roi Charles d’Allemagne, qui, pour ce temps en titre s’escripsoit roi des Romains, pour avoir sa sœur, madame Anne, en mariage, et comment un sien chevalier, messire Simon Burlé en avoit moult travaillé, et comment le duc de Tasson en Allemagne en avoit été en Angleterre pour confirmer le mariage. Tant avoient été ces choses demenées, que le roi des Romains envoya sa sœur en Angleterre, le duc de Tasson en sa compagnie et grand’foison de chevaliers et d’écuyers, de dames et de damoiselles, en état et en arroy, ainsi comme à telle dame appartenoit. Et vinrent en Brabant, et en la ville de Bruxelles ; là recueillirent le duc Wincellant de Brabant et la duchesse Jeanne, sa femme, la jeune dame et sa compagnie moult grandement ; car le duc étoit son oncle ; et avoit été fille de l’empereur Charles, son frère. Et se tint madame Anne de Behaigne à Bruxelles de-lez son oncle et sa belle ante, plus d’un mois sans partir, ni bouger, ni se osoit. Je vous dirai raison pourquoi : elle fut signifiée, et son conseil, que il y avoit douze vaisseaux armés ou environ, pleins de Normands sur la mer qui vaucroient entre Calais et la Hollande, et pilloient et déroboient sur la mer tout ce que ils pouvoient trouver ; et n’avoient cure sur qui. Et alloit et couroit renommée, sur les bondes de celle mer de Flandre et de Zélande, que ils se tenoient là en attendant la venue de la jeune dame, et que le roi de France et son conseil vouloient faire ravir la dame pour briser ce mariage, car ils se doutoient grandement des alliances des Allemands et des Anglois. Et disoit-on encore avant, quand on parloit, que ce n’étoit pas honorable chose de prendre, ni de ravir dames en guerres de seigneurs, en colorant et en faisant la querelle du roi de France plus belle. Comment ne vîtes-vous pas que le prince de Galles, père à ce roi d’Angleterre, il fit ravir et consentir le fait de madame de Bourbonnois, mère à la roine de France, qui fut prise et emblée des gens du prince, et tout de celle guerre, dedans le chastel de Belle-Perche ; si m’ayst Dieu, si fut, et menée en Guyenne et rançonnée : aussi par pareille chose, si les François prenoient, pour eux contrevenger, la mouiller du roi d’Angleterre, ils ne feroient à nullui tort.

Pour les doutes et pour les apparences que on véoit, se tint la dame et toute sa route à Bruxelles un mois tout entier ; et tant que le duc de Brabant, son oncle, envoya en France son conseil, le seigneur de Rosselare et le seigneur de Bouqueshort, pour remontrer ces choses au roi de France et à ses oncles, lesquels étoient aussi neveux au duc de Brabant et enfans de sa sœur. Ces chevaliers de Brabant exploitèrent tant, et si bellement parlèrent au roi de France et à son conseil, que grâce lui fut faite et bon sauf-conduit donné de passer où il lui plairoit, elle et les siens, fût parmi le royaume de France ou sur les frontières en allant jusqu’à Calais ; et furent les Normands qui se tenoient sur mer remandés. Tout ce rapportèrent les chevaliers dessus dits en Brabant au duc et à la duchesse ; et leur escripsoit le roi et ses oncles que, à leur prière et contemplation et non d’autrui, ils faisoient celle grâce à leur cousine de Behaigne.

Ces nouvelles plurent grandement au duc de