Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
220
[1382]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

avisés de bonnes villes de Flandre, de chacune un ou deux bourgeois, et de la ville de Gand six ; et tout premier François Acreman y fut élu et nommé, Rasse de la Borde, Louis de Vaulx, sire Jean Scotelaire, Martin Vondrewaire, Jacob de Brouere et un clerc qui étoit élu à être évêque de Gand de par Urbain ; car messire Jean de West qui avoit été doyen de l’église de Tournay, avoit avisé en son temps que on feroit un évêque en Gand qui possesseroit les profits que l’évèque de Tournay y devoit avoir ; mais en ce procurant il étoit mort, et étoit revenu avant un clerc de la ville de Gand et de très bon lignage ; et cil s’en alla en Angleterre avec leurs gens ; et lui envoya Philippe d’Artevelle pour aider à faire ces traités ; car il étoit de son lignage.

Quand ces dix huit bourgeois de Gand et de Flandre furent tous appareillés, ordonnés, chargés et indittés de ce qu’ils devoient faire et dire, si prindrent congé de leurs gens et se départirent du siége d’Audenarde environ l’entrée du mois de juillet ; et chevauchèrent vers Yppre et de là à Bourbourch, et puis à Gravelines, et exploitèrent tant qu’ils vinrent à Calais. Le capitaine de Calais, messire Jean d’Everues les recueillit liement quand il sçut qu’ils vouloient aller en Angleterre, et les pourvut de nefs passagers ; et ne séjournèrent à Calais que trois jours. Quand ils s’en partirent ils eurent vent à volonté, et furent tantôt à Douvres ; et puis chevauchèrent tant parmi Angleterre que ils vinrent à Londres. Et partout étoient bien venus, espécialement du commun d’Angleterre, quand ils dirent qu’ils étoient de Gand, pourtant que iceux Gantois s’étoient si bien portés qu’ils avoient déconfit le comte et sa puissance, et étoient seigneurs du pays ; et disoient que Gantois étoient bonnes gens.

En ce temps que iceux de Gand arrivèrent à Londres étoit le roi d’Angleterre et son conseil, messire Jean de Montagu, messire Simon Burlé, et messire Jean de Beauchamp à Wesmoustier pour ahériter messire Perducas de la Breth de toute la terre et baronnie de Chaumont en Gascogne, laquelle terre étoit en la main du roi pour faire à sa volonté ; et je vous dirai par quelle manière. Messire Jean de Chaumont et messire Alexandre son frère, étoient, grand temps avoit, morts sans hoir : si étoit leur héritage, selon l’usage de Gascogne, retourné à leur lige seigneur le roi d’Angleterre ; le roi Édouard d’Angleterre, du temps passé, l’avoit donné à messire Jean Chandos ; et le tint là tant comme il vesquit ; après sa mort il le donna à messire Thomas Felleton. Or étoit messire Thomas nouvellement mort : si étoit en la main du roi d’Angleterre. Laquelle terre ne pouvoit longuement être sans gouverneur demeurant sus ; car elle joint et marchit à la terre le seigneur de la Breth, qui pour ce temps étoit bon François. Si fut regardé et avisé du conseil le roi d’Angleterre que messire Perducas de la Breth, qui avoit servi les rois d’Angleterre Édouard, Richard et le prince et le pays Bordelois bien et loyaument plus de trente ans, étoit bien mérité d’avoir cette terre, et qu’il la garderoit bien et défendroit contre tout homme.

Messire Perducas de la Breth, quand il reçut le don de la terre de Chaumont en Gascogne, dit ainsi au roi qui l’en pourvéoit et ahéritoit, présens les nobles de son pays : « Sire, je prends et reçois cet héritage pour moi et pour mon hoir, à condition telle que contre tous les hommes je vous servirai et vous ferai servir de mon hoir en suivant, excepté contre l’hôtel de la Breth ; mais contre celui dont je suis issu, ne ferai-je jà guerre tant que on me veuille laisser mon héritage en paix. »

Le roi et son conseil répondirent : « Dieu y ait part ! et que ainsi on lui délivroit.

Or vous dirai, puisque je suis en celle matière, que il avint de messire Perducas de la Breth. Quand il fut en Gascogne et il ot pris la possession de la terre, et que messire Jean de Neufville, sénéchal de Bordeaux et de Bordelois pour le temps l’en ot mis en possession, par vertu des lettres du roi d’Angleterre qu’il montra, le sire de la Breth en ot grand’joie ; car bien savoit que son cousin ne lui feroit point de guerre, et demeureroient ces terres de Chaumont et de la Breth toutes en paix ; et tenoit à amour le sire de la Breth grandement son cousin ; car il contendoit que après son décès il le voulsist mettre en possession et saisine des châteaux qui sont en la baronnie de Chaumont : mais messire Perducas de la Breth n’en avoit nulle volonté. Et advint que il s’accoucha malade au lit de la mort. Quand il vit que mourir le convenoit, il appela tous les hommes de la terre et fit devant lui venir un sien