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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

Du chastel de Rosebourch, de par messire Jean de Montagu, à qui le chastel est et toute la terre de là environ, étoit le gardien et capitaine un chevalier qui se appeloit messire Édouard Clifford. L’amiral de France et tous ceux de sa route et les Escots s’arrêtèrent devant, et bien l’avisèrent : si regardèrent, tout considéré, que à l’assaillir ils ne pourroient rien conquester ; car le chastel est bel, grand et fort et bien muni d’armes et d’artillerie. Si passèrent outre, et vinrent tout contreval celle rivière de Tuide, en approchant Bervich et la mer ; et chevauchèrent tant que ils vinrent devant deux tours carrées, fortes assez. Au dedans avoit deux chevaliers, le père et le fils, qui s’appeloient tous deux messire Jean Strand. À ces tours avoit adonc bon herbergage de une plate maison qui fut tantôt arse et les tours assaillies ; et là ot fait de grandes appertises d’armes, et plusieurs Escots blessés au trait et du jet des pierres. Finalement les tours furent prises et les chevaliers dedans, par bel assaut, qui les défendoient et qui vaillamment se défendirent tant comme ils purent durer.

Après la conquête de ces deux tours, et que les Escots et les François en furent seigneurs, on s’en vint devant un fort chastel d’autre part que on appelle au pays Werk, et est de l’héritage messire Jean de Montagu. Si en étoit gardien et capitaine de par lui messire Jean de Mouseborne, lequel avoit là dedans sa femme et ses enfans et tout son cariage. Et bien savoit en devant que les François devoient venir ; si avoit à son pouvoir grandement bien pourvu le chastel de gens d’armes et d’artillerie pour attendre l’assaut. Devant le chastel de Werk s’amenagèrent et s’arrêtèrent tous ceux de l’ost, car il siéd sur une belle rivière qui rentre en la mer par le Tuide, dessous Bervich. À ce chastel de Werk ot un jour grand assaut ; et moult bien s’y portèrent les François, trop mieux que les Escots ; car ils entroient dedans les fossés et les passoient à grand’peine tout outre. Et là ot fait de ceux d’amont à ceux d’aval grandes appertises d’armes ; car les François montoient amont sur les échelles et s’en venoient combattre main à main de ceux du fort. Là fut messire Jean de Mouseborne très bon chevalier, et se combattit moult vaillamment aux chevaliers françois qui montoient sur ces échelles. Et là, à cel assaut, fut occis un chevalier allemand, qui s’appeloit messire Werry Wenselin, dont ce fut dommage ; et moult en y ot ce jour de navrés et de blessés. Mais finalement il y avoit si grand peuple, et fut l’assaut si continué que le chastel fut pris, et le chevalier, sa femme et ses enfans dedans ; et orent les François qui premiers y entrèrent plus de quarante prisonniers. Puis fut le chastel ars et détruit, car ils véoient qu’il ne faisoit pas à tenir, ni garder ne le pourroient, si avant en Angleterre comme il étoit.

Après le conquêt du chastel de Werk et la prise de messire Jean de Mouseborne, l’amiral de France et les barons de France et d’Escosse chevauchèrent vers Anuich, en la terre du seigneur de Percy ; et se logèrent tout en-mi, et ardirent et exillièrent aucuns villages ; et furent jusques à Broel, un bel chastel et fort qui est sur la marine, au comte de Northonbrelande ; mais point n’y assaillirent, car ils savoient bien qu’ils y perdroient leur peine. Et chevauchèrent toute celle frontière jusques à Mourepès, en-mi chemin de Bervich et de Neuf-chastel sur Thin ; et là entendirent que le duc de Lancastre, le comte de Northonbrelande, le comte de Northinghen, le sire de Neufville et les barons de la marche et de la frontière de Northonbrelande et de l’archevêché d’Yorch et de l’évêché de Durem, venoient à grand effort. Quand les nouvelles en furent venues jusques à l’amiral, si en fut tout réjoui ; aussi furent tous les barons et chevaliers de France qui en sa compagnie étoient ; car ils désiroient à avoir bataille ; mais les Escots n’en faisoient nul compte.

Là fut conseillé à Mourepès qu’ils se trairoient vers la marche de Bervich pour la cause de leurs pourvéances qui les suivoient, et pour avoir leur pays au dos, et là sur leurs marches ils attendroient leurs ennemis. Messire Jean de Vienne, qui point ne vouloit issir hors de conseil, les crut. Adonc ne chevauchèrent-ils plus avant en Northonbrelande, et s’en vinrent devers Bervich, de laquelle cité messire Mahieu Rademen étoit capitaine, et avoit là dedans avecques lui grand’foison de bonnes gens d’armes. Les François et les Escots furent devant ; mais point n’y assaillirent ; ainçois passèrent outre et prindrent le chemin de Dombare pour rentrer en leur pays.

Les nouvelles étoient venues en Angleterre