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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

pourtant que nous avions délivré la contrée de nos ennemis et rescous ce qui perdu étoit. Et le nous tournèrent à grand’vaillance ; et aussi firent tous ceux des bonnes villes de Portingal qui en ouïrent parler.

« Encore en cel an présent ont nos gens bien eu aussi belle journée et aventure au champ de Séville ; mais je vous recorderai avant la plus belle journée et la plus heureuse que le roi de Portingal ait point eu depuis deux cents ans que notre roi le roi Jean, mon très rédouté seigneur, qui ci m’envoie et le grand-maître de Saint-Jacqueme, qui ci est, a eu depuis quatre mois sur les ennemis, lesquels étoient bien quatre contre un, et toutes bonnes gens d’armes et de haute emprise, par quoi la nôtre journée en est plus recommandée ; mais je crois, monseigneur, que vous en avez bien ouï parler ; si vaut autant que je m’en taise que j’en parole. » — « Non ferez, dit le duc, vous ne vous en tairerez pas ; vous le me conterez, car je vous oy volontiers parler. Il est bien vérité que je ai un varlet à hérault céans, qui s’appelle Derby, qui y fut, ce dit-il ; et me conta que nos gens de ce pays y firent merveilles, et plus ce me semble, au voir dire, que ils ne sçussent ou pussent faire ; car il n’en y pouvoit avoir foison, parce que mon frère de Cantebruge, quand il se partit de Portingal, mit hors tous les Anglois que il y avoit menés, et les Gascons aussi. Et de ces hérauts moult y en a qui sont si grands bourdeurs et menteurs, que ils exaulsent en leurs paroles ceux que ils veulent, et abattent aussi qui que ils veulent ; et pour ce ne sont pas morts ni péris les biens des bons, car si il n’est connu ou ramentu par eux, si est-il bien qui le voit et ramentoit quand il chet à point. » — « Par ma foi ! répondit Laurentien Fougasse ; de tous les étrangers qui furent à la bataille de Juberot, avecques le roi de Portingal, il n’y ot pas deux cents hommes anglois, gascons et allemands ; et les greigneurs capitaines des étrangers qui y furent, ce furent deux Gascons et un Allemand de la duché de Guerles. Les Gascons nommoit-on messire Guillaume de Montferrant[1] et Bernardon, et l’Allemand Allebreth. Des Anglois y eut aucuns archers, mais je n’y oy oncques nommer homme de nom, fors deux escuyers, Nortbery et Hartecelle. Si furent-ils appelés au conseil du roi et des seigneurs quand on dut assembler. » — « Or avant, dit le duc, beau sire Laurentien, or me contez celle journée comment elle se porta, et comment elle fut combattue, et je vous en prie. » L’escuyer répondit : « Monseigneur, volontiers. »

Lors commença Laurentien Fougasse à renouveler son conte et à parler de la besogne et esconvenue de Juberot et dit ainsi :

« Vous avez bien ouï dire par moi et par autrui, si il vous plaît, que, après le couronnement du roi de Portingal qui fut couronné à Connimbres, si comme je vous ai dit, le roi de Castille, qui levé étoit du siége de Lussebonne pour la pestillence de la mortalité qui fut entre ses gens et retrait à Saint-Yrain, moult li pesa, ce doit-on savoir, quand il fut informé du couronnement de mon très redouté seigneur le roi Jean ; car il clamoit droit, et clame, à l’héritage et couronne de Portingal, si comme vous savez, de par la roine de Castille, sa femme, qui fut fille au roi Ferrant ; et nous disons que non. Et les points et les articles je vous ai montrés et déclarés, si ne m’en faut plus parler, car vous les avez bien entendus, mais vueil retourner à la matière.

« Le roi de Castille fut conseillé, si comme il apparut, d’envoyer quérir gens d’armes et soudoyers partout où il les pourroit avoir, et par espécial au royaume de France ; car François lui ont toujours aidé à soutenir sa querelle, et le roi son père, et fait sa guerre ; et lui fut dit : « Monseigneur, il ne vous faut avoir qu’une journée arrêtée contre celle introduction au royaume de Portingal : et si par puissance vous les poiez tenir aux champs et combattre, vous en viendriez à votre entente, car ils sont en grand différend et discord au royaume de Portingal ensemble, si comme vous savez et véez ; car jà maintenant avez-vous avecques vous des plus hauts et des plus nobles du pays qui se sont mis en votre obéissance, et c’est une chose qui moult grandement embellit et éjouit votre querelle. Si vous avancez de combattre atout puissance de bonnes gens, cil bâtard et intrus de Portingal que les communautés ont couronné à roi. Avant que il se fortifie des Anglois, vous le ruerez jus ; et quand vous aurez journée pour vous, tout le pays

  1. D. de Liao l’appelle Joao de Monferrara, mais ici c’est lui qui est dans l’erreur. Le nom doit être écrit tel qu’il est donné par Froissart.