Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/626

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
620
[1387]
CHRONIQUES DE J. FROISSART.

eux, et informent le peuple de ce qu’ils veulent ; ni nul ne leur va au devant ni au contraire de leur parole. Jà ont-ils ôté les officiers du roi, moi et les autres, et remis ceux de leur accord. Ils ont envoyé le roi ici à l’un des bouts de son royaume. On ne peut sur ce imaginer ni supposer nul bien : ni nous ne pouvons savoir parfaitement à quoi ils tendent. Si ce dure longuement, à ce qu’ils montrent, ils bouteront le roi hors de son royaume ; car ils y vont de puissance, et le roi n’y va que par douceur. Jà ont-ils fait mourir ce vaillant chevalier et prud’homme, sans nul titre de raison, messire Simon Burlé, qui tant de beaux services a faits au royaume d’Angleterre par delà la mer et par deçà ; et ont trouvé fausses amisses sur lui, et qu’il vouloit livrer le chastel de Douvres aux François ; et ont dit et informé le peuple qu’il les avoit fait venir en Flandre et à l’Escluse ; et oncques n’en fut rien. Aussi, au dépit du roi, ils ont occis honteusement messire Robert Trésilien, son chevalier : et ainsi feront-ils tous les autres, s’ils en peuvent venir à chef. Si que, je dis et mets outre, qu’il vaut mieux que je roi y voise de rigueur et de puissance que de douceur. On sait bien par tout le royaume d’Angleterre qu’il est roi, et que jà, à Westmoustier, son tayon, le bon et vaillant sire Édouard, le fit élever et jurer à tous seigneurs, prélats, cités et bonnes villes d’Angleterre, qu’après son décès on le tiendroit à roi : et ce serment firent ses trois oncles. Or semble-t-il à plusieurs, s’ils osoient parler, qu’on ne le tient pas en état ni en forme de roi, car il ne peut faire du sien sa volonté. On l’a mis à pension, et la roine aussi. Ce sont trop dures choses pour un roi et pour une si grande dame aussi. On leur montre qu’ils n’ayent pas sens d’eux gouverner ni conseiller, et que leur conseil soit traître et mauvais. Je dis que telles choses ne sont pas à souffrir : et plus cher j’aimerois à mourir, que de longuement vivre en tel état ni danger, ni de voir le roi être demené ainsi que ses oncles le demènent. »

Le roi s’arrêta sur celle parole et dit : « Il ne nous plaît pas : et je veuil que vous, qui m’avez ce conseillé, y remédiez, au plus honorablement que vous pourrez, à l’honneur et profit de nous et de notre royaume. »

Là fut en ce parlement à Bristo conclu et ordonné que le duc d’Irlande, tout souverain de la chevalerie du roi, se trairoit atout ce qu’il pourroit avoir de gens d’armes et d’archers, en la marche de Londres, et viendroit venir savoir le parfait courage des Londriens : et, s’il pouvoit avoir parlement ni audience à eux, il les tourneroit tous à sa cordelle, parmi les grands promesses qu’il leur promettroit de par le roi.

Ne demoura guères de temps depuis, que le duc d’Irlande, à bien quinze mille hommes, se départit de Bristo et s’avança vers la cité d’Acquessuffort dont il s’escripsoit comte. Quand il fut venu jusques là, il et ses gens se logèrent en la ville et là environ ; et portoient bannières et pennons tout de l’armoirie d’Angleterre toute pleine, car le roi vouloit qu’ils fissent ainsi, pour mieux montrer que la besogne étoit sienne.

Les nouvelles vinrent aux oncles du roi, au duc d’Yorch et au duc de Glocestre, que le duc d’Irlande approchoit Londres, et étoit jà à Acquessuffort, atout bien quinze mille hommes, que uns que autres ; et portoient les propres bannières du roi. Ils pensèrent sur ces besognes, et eurent conseil comment ils se cheviroient ; et mandèrent un jour à Wesmoustier tous les souverains de Londres, ceux où ils avoient la greigneur fiance et alliance et qui plus y avoient d’avis et pouvoient le plus faire de fait ; et leur remontrèrent comment le duc d’Irlande et tous ceux de sa secte venoient, à main armée, sur eux. Les Londriens, comme gens confortés et tout appareillés d’obéir au commandement des oncles du roi, car à ce étoient-ils tous inclinés et arrêtés, répondirent : « Ce soit au nom de Dieu. Si le duc d’Irlande demande la bataille à nous, légèrement l’aura. Nous ne clorrons jà porte que nous ayons, pour quinze mille hommes d’armes ni vingt mille, s’ils y sont. » De celle réponse furent les ducs tout réjouis ; et mirent tantôt et incontinent grand’foison de clercs en œuvre et de messagers, pour assembler chevaliers et escuyers de tous côtés, et gens et archers des bonnes villes. Aux lettres des ducs, ceux qui priés et mandés en étoient, obéissoient ; car ainsi promis et juré l’avoient. Si se pourvéirent en l’évêché de Norvich, en la comté d’Excesses, en l’archevêché de Cantorbie, en la comté d’Arondel, en la comté de Salbery, en là comté de Hantonne, et tout au pays d’environ Londres ; et vinrent plusieurs chevaliers et escuyers à Londres ; et là se logèrent : et en-