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Page:Froissart - Les Chroniques de Sire Jean Froissart, revues par Buchon, Tome II, 1835.djvu/666

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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

hommage son homme, le roi Richard d’Angleterre lui donna rentes sur ses coffres, mille marcs de revenue par an ; ce sont, à priser largement, quatre mille francs ; et à être bien payé[1] ; et lui fut dit qu’il réveillât son droit envers la duchesse de Brabant et le pays, car il seroit servi et aidé des Anglois, tellement que nul blâme ni dommage il ne recevroit ; et parmi tant, il jura aussi à être loyal en tous services au roi d’Angleterre et au pays ; et tout ce fit-il trop liement.

Quand toutes ces ordonnances et alliances furent faites, il prit congé au roi, et à ses cousins, et aux barons d’Angleterre ; et s’en retourna arrière en son pays de Guerles ; et recorda au duc de Julliers tout son exploit, et comment il s’étoit fortifié des Anglois. Le duc de Juliers qui, par expérience d’âge, étoit plus sage que son fils, ne montra point qu’il en fût trop réjoui, et lui dit : « Guillaume, vous ferez tant que moi et vous pourront bien comparer et cher acheter votre allée en Angleterre. Ne savez-vous comment le duc de Bourgogne est si puissant, que nul duc plus que lui ? Et il est attendant la duché et héritage de Brabant. Comment pourrez vous résister contre si puissant seigneur ? » — « Comment ! répondit le duc de Guerles à son père ; plus est riche et puissant, tant y vaut la guerre mieux. J’ai trop plus cher à avoir à faire à un riche homme qui tient grand’foison d’héritages qu’à un petit comtelet, où je ne pourrois rien conquêter. Pour une buffe que je recevrai, j’en donnerai six. Et aussi le roi d’Allemagne est allié avecques le roi d’Angleterre ; si serai au besoin aidé de lui. » — « Par ma foi ! Guillaume, et beau fils, vous êtes un fol ; et demeurera plus de vos cuiders à accomplir qu’il ne s’en achèvera. »

Or vous dirai pourquoi le duc de Julliers tançoit un petit son fils, et le mettoit en doute. Le roi Charles de France, le dernier trépassé, pour le temps dont je vous parle et de bonne mémoire, mit en son temps grand’peine d’acquérir amis à tous lez, et bien lui besogna. À tout le moins, s’il ne les pouvoit acquérir si avant que pour faire armes à l’encontre de ses ennemis, si faisoit-il tant, par dons et par promesses, qu’ils ne lui vouloient que bien. Et par telle manière il en acquit plusieurs en l’Empire, et ailleurs aussi ; et fit tant en son temps, après ce que le duc de Julliers eût rendu arrière, à son bel oncle l’empereur, son bel oncle le duc de Brabant, et quitté et délivré de sa prison, et qu’ils furent assez bons amis ensemble, par les ordonnances que l’empereur de Rome y ordonna et institua, que ce duc de Juliers le vint voir à Paris. Et là le reçut le roi de France très grandement et très grossement : et lui donna dons et joyaux à grand’foison, et à ses chevaliers aussi que le duc mena en sa compagnie, tant que le duc s’en contenta grandement. Et releva du roi, en ce voyage le duc de Juliers, la terre de Vierson[2] et sa seigneurie, de laquelle tous les reliefs en appartiennent au comte de Blois ; et siéd celle terre entre Blaisois et Berry ; et y peut avoir de revenue, par an, pour environ cinq cens livres, monnoie de France ; et jura le duc de Julliers que jamais il ne s’armeroit contre la couronne de France. Ce roi vivant, il tint bien sa parole et son serment, car voirement, tant comme le roi Charles de France vesquit, il ne porta nul dommage, ni consentît à porter, à l’encontre de la couronne de France. Quand le roi Charles cinquième fut mort, et que son fils Charles sixième fut roi, lequel pour les guerres de Flandres, si comme savez et il est contenu en notre histoire, eut après sa création plusieurs touaillemens, et tant qu’il ne pouvoit pas par tout entendre, le duc de Julliers ne vint point en France, ni ne releva point celle terre de Vierson : pour quoi le duc de Berry qui souverain s’en tenoit, car il disoit que les reliefs en appartenoient à lui, en saisit les profits, et de puissance il en bouta hors de son droit le comte de Blois. Nequedent, tant comme d’eux, je les vis plusieurs fois ensemble : mais oncques, pour le débat de ces terres, ils ne s’en montrèrent mal-talent ; et bien y avoit cause qu’ils fussent amis ensemble, car Louis, le fils au comte de Blois, avoit, par mariage, madame Marie, la fille au duc de Berry. Or bien pensoit le duc de Julliers à retourner encore sur l’héritage ; mais il véoit son fils, qui devoit être son héritier, annexé si de courage et de fait avec les Anglois que pour ce n’en faisoit-il pas trop grand compte. Si lui dit ainsi les paroles que je

  1. Voyez Rymer, Fædera, an x, de Richard II. Ce traité y est donné en entier ; la pension était de mille livres sterling.
  2. Vierson, ville du département du Cher.