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LIVRE III.

ils eussent fait folie ; et se mirent au retour, devers leurs garnisons dont ils étoient partis.

Ainsi alla de celle aventure, et eut le duc de Guerles celle première buffe et ce premier dommage ; dont il fut moult courroucé quand il sçut les nouvelles. Il étoit pour ces jours à Nimaiges, mais il vint là tantôt atout grands gens d’armes, et cuida moult bien là trouver les François. Si fit remparer le lieu et le repourvoir d’autres gens d’armes, qui furent depuis plus diligens de garder la ville, qu’ils n’avoient été pardevant. Ainsi avient des aventures ; les uns perdent une fois et une autre fois le regagnent. Moult furent la duchesse de Brabant et tous ceux de Brabant réjouis de celle aventure ; et y acquirent messire Guillaume de la Trémouille et messire Servais de Méraude grand’gràce : et adonc disoient-ils communément parmi le pays, qu’à l’été qui venoit, sans nulle faute, ils iroient mettre le siége devant la ville de Gavres, et ne s’en partiroient jusques à ce qu’ils l’auroient, car ils se trouveroient assez gens pour ce faire. Quand le duc de Bourgogne eut ouï ces nouvelles, comment ses gens, qui étoient en garnison en Brabant, se portoient bien, si en eut grand’joie ; et, pour eux encore mieux encourager et donner bonne volonté, il escripvoit souvent à messire Guillaume son chevalier.

Ainsi se tinrent-ils là tout cel hiver, grandement bien gardant leur frontière : ni aussi ils ne prirent point de dommage ; et aussi les chastels et villes de Guerles, depuis la prise de la ville de Straulle, furent plus soigneux d’eux garder, qu’ils n’avoient été au devant.

Or vous vueil-je recorder d’une autre emprise que Perrot le Bernois fit en Auvergne, où il eut grand profit, et par quelle incidence il la mit sus : je le vous dirai tout au long de la matière.

CHAPITRE XCIX.

Comment Géronnet de Ladurant, l’un des capitaines de Perrot le Bernois, ayant été prisonnier de Jean Bonne-Lance à Montferrant en Auvergne, trouva façon, après sa rançon payée, de mettre le Bernois dedans icelle ville de Montferrant.


Avenu étoit en celle propre année et saison, environ la moyenne de mai, qu’aucuns compagnons aventureux, environ quarante lances, étoient issus et partis hors de Chaluset que Perrot le Bernois tenoit ; et siéd celle forteresse en Limousin. Les compagnons à l’aventure couroient en Auvergne ; et avoient un écuyer gascon à capitaine, qui s’appeloit Géronnet de Ladurant, appert homme d’armes durement. Or, pour ce que le pays a été et étoit toujours en doute pour tels gens, sur les frontières de Bourbonnois se tenoit, de par le duc de Bourbon, un sien chevalier, vaillant homme aux armes, qui s’appeloit messire Jean Bonne-Lance, gracieux et amoureux chevalier, et qui grand courage avoit de lui avancer.

Entandis que Anglois chevauchoient, il demanda quelle somme de gens ils étoient : on lui dit qu’ils étoient environ quarante lances. « Pour quarante lances, dit-il, nous n’avons garde. J’en vueil mettre autant à l’encontre. » Lors se départit-il du lieu où il étoit, car la plus grand’charge de gens d’armes se tenoient devant Mont-Ventadour. Et toujours pour trouver armes, car il les désiroit, frontoit-il, à quarante ou cinquante lances, les frontières de Limousin, d’Auvergne et de Bourbonnois. Il se mit à l’adresse, à ce qu’il avoit de gens. Là étoit avecques lui un chevalier, nommé messire Louis d’Aubière ; et aussi messire Louis d’Apchon, et le sire de Saint-Aubin ; et prirent les champs, sans tenir voie ni chemin, car bien connoissoient le pays ; et s’en vinrent sur un pas où il convenoit que leurs ennemis passassent, non par ailleurs, pour les diverses montagnes, et pour une rivière qui descend et vient d’icelles, qui est durement grande quand il pleut, ou que les neiges fondent ès montagnes. Ils n’eurent pas été demie heure, quand evvous venir les Anglois lesquels ne se donnoient garde de celle rencontre ! Bonne-Lance et les siens abaissèrent leurs glaives, et s’en vinrent sur ces compagnons qui étoient descendus au pied d’une montagne, et écrièrent leur cri. Quand ils virent que combattre les convenoit, si montrèrent visage et se mirent à défense : et Géronnet, qui étoit assez appert écuyer, eut là de première venue forte rencontre de glaives et bons boutis, et des renversés des uns et des autres. Mais, à parler par raison, les François étoient plus droites gens d’armes que n’étoient les compagnons aventureux ; et bien le montrèrent, car ils rompirent tantôt celle route et les ruèrent jus, et les prirent, et les occirent ; oncques nul n’en retourna, si ce ne fut varlets qui së sauvèrent et mucièrent, entrementiers